FORIM

L'édito du mois : La force de la solidarité et de la sobriété

09 janvier 2020

Dans l'édito du mois de janvier, la parole à Chansamone Voravong, ancien Président du FORIM, qui nous livre un témoignage inspirant.

La force de la solidarité et de la sobriété

Témoignage d'un migrant

Il y a deux mois, j'ai fait visiter à mon petit-fils mon village natal au Laos. Je lui ai montré dans la maison de ma naissance, l'endroit exact où il y a quatre-vingt neuf ans ma mère m'a mis au monde. Cette maison toute en bois, sur pilotis, encore debout après cent ans, a été construite avec la force des bras des villageois, par la solidarité, sans une dépense monétaire. Les gens du village vivaient en paix avec eux-elles-mêmes et en harmonie avec la nature, sobrement. Pas d'ordures ménagères, pas de policiers, pas de tribunal.  Le village était établi au milieu d'un environnement naturel qu'on appelle le bien commun dans lequel l'espace privé est reconnu. . En cas de litige, les protagonistes s'en remettaient au chef du village, bénévole reconnu par ses pairs pour ses qualités humaines, qui arrive toujours à ramener l'apaisement. Les jeunes gens, avant d'entrer dans la vie active , allaient à l'école de la sagesse et de la responsabilité à l'égard de tous les vivants.

Quand je décrivais mon village dans une école primaire d'une commune rurale française, en tant que migrant dans le cadre d'un projet « 100 écoles 100 témoins » dont je fais partie depuis plus de dix ans, une petite fille m'a posé cette question : Sans policiers comment vous faites pour assurer la sécurité? Chacun-e pourrait sans doute donner une réponse à ma place. Peut-être serait-elle celle-ci ?: « Si on a la sécurité, on n'a pas besoin de policiers! »

Au « Carrefour des Associations Parisiennes », j'ai fait la présentation de mon village,  à une table ronde sur la permaculture, composée d'universitaires et d'experts en la matière. Sans dissertation laborieuse de ma part, mon village a été reconnu comme possédant la plupart des ingrédients de la permaculture. Au point que quelques mois plus tard, à l'occasion d'un festival de l'éducation interculturelle en Vendée, on m'a demandé de faire la même présentation au milieu d'une trentaine de villageois qui voudraient mettre en pratique la permaculture.

Pourquoi évoquer aujourd'hui ce petit village laotien ? Que pourrait-il bien représenter dans notre gigantesque monde moderne en perdition dans sa fuite en avant ? Il ne s’agit pas bien sûr pour moi de militer ici pour un retour à des modes de vie ancestraux. Mais je voudrais suggérer, très  modestement, que dans notre monde globalisé, un tel village traditionnel, aussi dérisoire puisse-t-il paraître au regard de problématiques planétaires considérables, pourrait constituer néanmoins une petite lueur, un exemple de valeurs humaines souhaitables ou même nécessaires, et ainsi une vraie source d’inspiration pour l’avenir si, comme le dit Michael Löwy1, « il ne s'agit pas de trouver des «solutions» pour certains «problèmes» mais de viser à une alternative globale à l'état de chose existant, une civilisation nouvelle, un mode de vie autre qui ne serait pas la négation abstraite de la modernité, mais son dépassement... vers une forme supérieure de culture – une forme qui restituerait à la société certaines qualités humaines détruites par la civilisation industrielle (que je qualifierais de et monétaire ). Cela ne signifie pas un retour au passé, mais un détour par le passé, vers un avenir nouveau. »

La situation de ces dernières années et les conflits de ces dernières semaines autour de la réforme des retraites, montrent que les dirigeants ne peuvent pas coopérer pour relever ensemble les défis communs de notre temps. Les médias arbitrent et animent les débats entre des antagonistes dont le degré de véhémence ne distingue pas le masculin du féminin. Les grévistes parlent du principe et de l'esprit de la grève. Les passant-e-s, les usager-ère-s des transports, à qui on tend le micro répondent qu'ils soutiennent les grévistes.... ou bien s'insurgent contre eux. Pendant ce temps, on oublie le réchauffement climatique, la destruction de l'environnement, les violences et les injustices dans le monde... On oublie les misères et les miséreux dans la France dont le Produit intérieur brut (PIB) la place dans le club des pays les plus riches et les plus puissants de la terre.

Ce qui avait fait dire à Patrick Viveret, dans son rapport remis au gouvernement en 2001 sur sa mission : «Les nouveaux facteurs de richesse», que notre société matériellement développée, est éthiquement sous-développée. Pour proposer un système cohérent, disait-il, susceptible de transformer en profondeur notre comptabilité nationale – notre façon de représenter et de quantifier les richesses --, il faudrait y dédier plusieurs centaines de personnes pendant plusieurs années2.

J'ajouterai donc pour ma part que les connaissances scientifiques et les prouesses techniques, aussi avancées soient-elles, tant qu'elles sont mues par les valeurs que sont la méfiance, la domination, la concurrence, le profit...  qui ont fait jusqu'à présent la civilisation industrielle, ne suffiront jamais aux humain-e-s pour vivre ensemble en bonne intelligence, dans une société fraternelle. Il faut que les individu-e-s et la société retrouvent leur force dans les qualités morales qu'on appelle des vertus. Parmi celles-ci on compte la confiance, l'honnêteté, l'altruisme, le sens social...  La solidarité et la sobriété – la sobriété heureuse comme disent Patrick Viveret et Pierre Rabhi3 – qui s'appuient l'une sur l'autre, sont de celles-là. Elles doivent constituer le but ultime autant que le fondement de tout processus de développement.

En tant que migrants, nous sommes bien placés pour reconnaître ces qualités humaines et ces valeurs morales contenues dans nos sociétés traditionnelles, qui peuvent nous définir dans l'amour de nos origines et l'amour de notre terre d'accueil. Plus terre à terre,  dans la pratique et dans le comportement quotidiens, la solidarité et la sobriété, pour ne citer que ces deux vertus comme elles se sont opérées dans mon village natal, constituent une force sur laquelle nous pouvons et devons compter pour construire cet avenir nouveau épanouissant. 

 

Chansamone Voravong
Ancien réfugié, migrant de prémière génération
Ancien Président du FORIM, Chevalier de la Légion d'Honneur

 


1 Michael Löwy, né en 1938, est un sociologue, philosophe...  franco-brésilien. Il a été nommé en 2003 directeur de recherche émérite au CNRS1 et enseigne à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).

2 Patrick Viveret, ancien magistrat à la Cour des comptes, philosophe, essayiste, a publié plusieurs ouvrages sur la richesse et son mode de représentation et de mesure, l'économie, sur la politique, le social...  dont « Le bon usage de la fin d'un monde ».

3 Pierre Rabhi, un migrant -- nous le connaissons tou-te-s sinon la plupart d'entre nous -- , né en1938 en Algérie, est un essayiste, romancier, agriculteur, conférencier et écologiste français, fondateur du mouvement Terre et Humanisme puis Mouvement Colibris et « figure représentative du mouvement politique et scientifique de l'agroécologie en France."

 

 

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