FORIM

Le premier cas de Covid19 a été signalé dans la ville de Wuhan (la capitale de la province du Hubei) date du 17 novembre 2019 en Chine. Le 22 janvier, le gouvernement chinois place sous quarantaine trois villes de la province de Hubei: Wuhan, Huanggang et Ezhou. D'autres villes comme Shanghai et Pékin sont également concernées.

Les autorités chinoises interdisent tout trafic aérien, ferroviaire,

routier et fluvial à destination et en provenance de ces trois agglomérations, à l'intérieur desquelles les transports publics (autobus, métro) sont également suspendus. Les autorités ordonnent également la fermeture des lieux publics de divertissement à l'instar des salles de cinémas, des salles de spectacle ou encore des cybercafés. Le port du masque est rendu obligatoire.

Le confinement est relativement strict et contrôlé. Aussi, deux hôpitaux de campagne sont construits de 25 000 m2 et pouvant accueillir jusqu'à mille patients et l’autre pour mille six cents patients. Alors que l’épidémie s’était fortement ralenti, une deuxième vague est annoncée en juin, touchant plus spécifiquement la ville de Pékin. La ville se reconfine après une augmentation de cas dans la ville, dû à une contamination dans un marché de gros.

La Chine est le pays le plus peuplé au monde, avec 1,4 milliard de personnes. C’est aussi le pays qui connait l’une des plus grande diaspora de la planète. Les Chinois d’outre-mer ont débuté leur émigration à la fin du 16ème siècle. Elle s’est intensifiée dans la deuxième partie du

19ème siècle et poursuivie jusque à l’époque contemporaine. Les Chinois d’outre-mer sont aujourd’hui présents sur tous les continents (Zhipeng Li, 2017[1]).

La communauté chinoise en France s’est formée par vagues successives de migrants venus à différentes époques et pour des raisons diverses. Elle est estimée à environ entre 600 000 à 700 000 personnes, soit la plus importante d'Europe. Elle est particulièrement concentrée en Ile de France et à Paris dans le 13ème arrondissement, plus souvent appelé le « quartier chinois ».

La crise de la Covid, en plus de malmener la santé des personnes, a été révélatrice d’une peur de l’Autre. Celui et celle, qui dans notre inconscient, a fait entrer l’épidémie en France est devenu indésirable. Pendant cette crise, la communauté chinoise a connu diverses formes de stigmatisations et de discriminations à son encontre, assimilant les Chinois.e.s de France directement au virus. Sur les réseaux sociaux, s’est développé le #Jenesuispasunvirus pour lutter contre cette stigmatisation. Deux personnalités de la société civile chinoise de France ont accepté de répondre à nos questions et nous apprennent d’une communauté, que nous ne connaissons que très peu. Nous les en remercions.

[1] Voir la thèse de Zhipeng Li « La diaspora Wenzhou en France et ses relations avec la Chine » : https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-01819716/document

Interview croisée

Grâce Ly

Grâce Ly est écrivaine, autrice-réalisatrice, et animatrice de podcasts. Elle est née en France de parents chinois, installée en région parisienne depuis l’âge de 6 ans. Elle lance le blog La Petite Banane en 2011, puis crée une websérie Ça reste entre nous diffusée en 2017 et 2018. Elle discute particulièrement des questions d’identité, de racisme de culture.

En septembre 2018, elle crée le podcast bimensuel « Kiffe ta race », avec Rokhaya Diallo. Elle publie, à la même date « Jeune fille modèle » son premier roman chez Fayard. C’est pour elle l’occasion d’évoquer l’exil, les stéréotypes, la double culture, au travers de l’héroïne du livre, Chichi, une jeune asiatique de la seconde génération.


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Sacha Lin Jung

Sacha Lin Jung est de nationalité française, né à Paris issu d'une famille chinoise originaire de la ville Wenzhou. De formation scientifique, il profite néanmoins de la culture entrepreneuriale familiale pour se lancer dans de multiples activités commerciales en France et en Chine. Confronté tout au long de sa vie à des contrastes conflictuels, a germé en lui un besoin d'équilibre intérieur et d'harmonie extérieure. Il est le fondateur d’une association (« Jeunes Chinois de France ») afin de réunir des français d'origine chinoise dans le but de traiter des problématiques ainsi que des potentialités non exploitées relatives aux jeunes français asiatiques. C'est pour lui presque devenu une mission de vie. Lors de la crise sanitaire, il a été l’invité de nombreux plateaux de télévision pour apporter son éclairage en tant que membre actif de la société civile sur le débat du racisme anti-asiatique.


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Propos recueillis par Chadia Arab, Jacques Ould Aoudia, et Benoit Mayaux

FORIM : Comment la communauté chinoise se structure-t-elle en France ? Pourriez-vous décrire cette diaspora peu connue ?

Sacha : La première chose à distinguer avant de commencer à parler de la «communauté chinoise» est que la «communauté chinoise» est devenu un amalgame de l'imaginaire collectif qui regroupe des communautés hétérogènes. Dans cette imaginaire collectif, les populations asiatiques font malgré elles aussi partie de cette communauté chinoise. Le seul point commun qui fait vraiment consensus au sein des populations asiatiques est la discrimination au faciès. C'est pourquoi dans la lutte contre les discriminations, nous parlons presque exclusivement de communauté asiatique au lieu de chinoise. Ceci étant posé, on peut distinguer deux courants migratoires qui ont déterminé la composition de la communauté dite chinoise en France: La plus connue est essentiellement basée dans le13eme arrondissement de Paris et a démarré à la fin des années 60, composée de populations asiatiques d'anciennes colonies françaises en Indochine (Vietnam, Cambodge, Laos principalement) qu'on appelle communément les «Boat people». Ces ressortissants de nationalité diverses ont souvent des origines chinoises, l'amalgame de qualifier tous les asiatiques de «chinois» n'est pas causée par la seule méconnaissance, le fait sociologique atteste parfois d'un réel amalgame culturel. L'autre courant migratoire moins connue, est pourtant plus ancien et plus important en terme démographique, représentant près de la moitié de la population chinoise en France est originaire de Chine continentale et son installation en France remonte à la Première Guerre Mondiale. À cette époque, la France et l'Angleterre passent un accord avec le gouvernement chinois de l'époque pour recruter 140 000 travailleurs chinois dont certains, quelques milliers vont finir par s'installer définitivement en France, et notamment à Paris près de la gare de Lyon et dans le 3eme arrondissement de Paris dès 1919. Beaucoup de ces Chinois sont originaires de la région de Wenzhou (ancienne concession étrangère). Cet ilot chinois en plein cœur de Paris restera marginal jusqu'à la fin des années 60 où la Révolution Culturelle en Chine engendre une fuite des Chinois vers de plus verts pâturages. C'est donc en concomitance avec les fameux «boat people», que se développe une migration plus discrète de Chinois de la région de Wenzhou qui, contrairement aux «boat people», n'ont jamais eu de contacts culturels avec la France. Ces deux courants d'immigration représentent la très grande majorité de la population chinoise en France. En marge, on compte bien entendu une présence d'étudiants chinois et une population en provenance de la région du Dongbei au nord-est de la Chine arrivée dans les années 90.n Chaque groupe a ses spécificités culturelles distinctes, ne parlent pas les mêmes langues et dialectes, se développe indépendamment dans des secteurs économiques très différents et possède son propre réseau communautaire et associatif.

En complément de ce tableau non exhaustif, il faut parler d'une population assimilée à chinoise mais qui ne rentrent pas dans les statistiques, celle des français d'origine asiatique issu des différentes courants d'immigrations que l'on voit émerger dans des actions de lutte contre les discriminations ou pour une meilleure représentativité politique. Cette conscience citoyenne est encore très récente et il n'existe aucune étude sur cette population de nationalité française qui commence à s'affirmer de différentes manières.

Grâce : Il serait plus juste de parler des communautés chinoises en France, parce qu’il y a de nombreuses migrations et de nombreux parcours. La Chine est évidemment un grand pays, 17 fois la France. Et donc les immigrations successives ne se ressemblent pas. Il y a par exemple, une immigration de Chine qui date des évènements Tian’anmen[1] de 1989, qui est très politique. Il y a aussi des étudiants chinois qui restent en France et qui s‘installent, il y a des migrations clandestines, des territoires du Dongbei au Nord de la Chine, une immigration qui vient de Wenzhou avec qui la France a tissé beaucoup de liens. Il y a aussi les Chinois qui sont issus des diasporas indochinoises, d’Ex-Indochine française, donc du Cambodge, du Laos et du Viet Nam et qui sont souvent confondus avec ces populations sous le nom de boat people par exemple.

[1] Le 15 avril 1989 débute un mouvement d'étudiants, d'intellectuels et d'ouvriers chinois qui dénoncent la corruption dans la classe politique chinoise et réclament des réformes politiques et démocratiques. Cette contestation, d'abord joyeuse et toujours non violente, se termine par l'intervention de l'armée (Source : France Info).

Source : page Facebook de l'Association des Jeunes Chinois de France

FORIM : L'épidémie de la Covid19 a débuté en Chine, quels impacts cette crise sanitaire a-t-elle eu en France? Et particulièrement sur la communauté chinoise de France? (racisme? Discriminations ? Autres ?, etc.)

Sacha : Pour les personnes sensibles au contexte de protectionnisme européen et de guerre économique entre les USA et la Chine, le fait que l'épidémie de coronavirus ait débuté en Chine a tout de suite été pris très au sérieux sur le plan sanitaire mais encore plus sur le plan des discriminations. C'est ainsi que les défilés traditionnels du nouvel an chinois en France ont été annulés afin d'éviter tout risque d'exposer les plus jeunes participants à d'éventuels débordements racistes auxquels nous assistions déjà sur les réseaux sociaux et dans la vraie vie. Sur le plan économique, dès le mois de janvier 2020, les commerces de bouche tenus par des asiatiques ont subi une baisse de fréquentation. Le secteur très important du tourisme s'est totalement arrêté. Sur les réseaux sociaux, les propos racistes à l'encontre de la communauté asiatique a explosé de plus de 900%. Sur le plan social, cette crise a mis en évidence le manque de préparation de la société française à faire face à une épidémie. Et donc au sentiment d'injustice des populations d'origine asiatique et malgré tout la suspicion qui a pu être exprimée à l'encontre de la gestion de la crise en Chine, subsiste quand même la conscience que l'Asie notamment la Chine est moins sous-développée qu'on aurait pu le penser. Ce qui peut générer un sentiment compensatoire de fierté au milieu de cette débâcle.

Grâce : Depuis le début de la crise sanitaire en Chine, c’est-à-dire à peu près vers le 20 janvier, date du nouvel an chinois en Chine, il y a eu un début de stigmatisation parce qu’on a projeté sur la population chinoise, les asiatiques d’une manière générale, et donc pas que chinoise, les personnes qui sont perçues comme étant asiatiques, aussi Vietnamiens, aussi d’autres groupes qui ne sont spécifiquement chinois mais qui sont perçues comme asiatiques. Donc des stigmatisations, des discriminations, des violences verbales et aussi physiques. L’épidémie du Covid19 a non seulement été une épidémie sanitaire, mais aussi un reflet des tensions sociales et de la montée du racisme anti-asiatique soudain. C’était une montée soudaine et très circonstanciée, et c’est quelque chose qui n’est pas nouveau en France. Il y a toujours eu du racisme anti-asiatique. En dehors de la crise sanitaire, c’était quelque chose de beaucoup plus insidieux, beaucoup plus invisible. On parle souvent de stéréotype qu’on dit positif. On dit souvent la communauté asiatique, chinoise, qu’on trouverait modèle, qui serait discrète et qui travaillerait dur, qui serait composée de « bons immigrés ». C’est souvent l’image qui colle à la peau aux personnes migrantes asiatiques et même des populations françaises aux origines asiatiques. Ce racisme qu’on dit positif, bienveillant mais qui demeure tout de même du racisme, s’est transformé en ostracisation, en violence franche, depuis le début de la crise sanitaire et ça a perduré aujourd’hui encore.

FORIM : Y'a-t-il un racisme particulier par rapport au Chinois et en comparaison aux autres communautés? Y'a-t-il une convergence des luttes? Nous pensons plus spécifiquement aux manifestations contre les violences policières. Est-ce que les Chinois.es de France se sentent concerné.es ? Comment les Chinois s'inscrivent dans ces luttes? Comment palier au racisme anti-chinois?

Sacha : Les noirs, les juifs, les maghrébins et les asiatiques ne souffrent évidemment pas des mêmes suspicions. Le racisme dont souffre les «Chinois» s'articulent sur des clichés effectivement spécifiques. Hormis le racisme ordinaire des clichés positifs ou réducteurs, le racisme anti-chinois se manifeste aussi par le phénomène d'agressions ciblées visant surtout les femmes et les personnes perçues comme les plus vulnérables.

Le racisme anti-chinois est donc présent sous deux formes, l'une est le racisme dit ordinaire et l'autre est un racisme lié à un ressentiment à l'encontre d'une image préconçue de la Chine. Dans les théories du complot, tout le monde peut trouver une raison de haïr «les Chinois», la consommation de viande de chiens, le traitement des musulmans du Xinjiang, la menace pour les démocraties occidentales, toutes ces accusations suffisent à construire un imaginaire collectif ou le «chinois» est l'ennemi. Dans ce contexte de dénonciation des violences policières, les populations chinoises ne se sont que très peu positionnés officiellement même si l'affaire LIU SHAOYAO, père abattu à son domicile à Paris devant ses enfants a été le motif d'un soulèvement contre les violences policières. Le racisme anti-chinois est lié à l'image de la Chine véhiculée dans les grands média occidentaux, la lutte contre ce racisme consisterait avant tout à détricoter les mythes anxiogènes sur la Chine qui masquent les points de convergence de l'histoire de la Chine avec le reste du monde. D'ailleurs je constate que depuis la dernière flambée de racisme anti-chinois, le nombre de militants indépendants appliqués à ce travail titanesque sont de plus en plus nombreux.

Grâce : Je ne pense pas qu’il y ait un racisme particulier contre les chinois, de manière interindividuelle, car c’est difficile de distinguer une personne chinoise d’une autre personne asiatique : je ne suis pas ciblée en tant que cambodgienne ou chinoise, je suis ciblée en tant qu’asiatique, avec un faciès, une forme d’yeux, de cheveux, qu’on associe à tout un continent, ce qui par ailleurs est de l’ordre du fantasme. Il y a en revanche du China bashing, qui vise les ressortissants chinois, et l’image de la Chine dans les médias. Le made in China c’est cheap, la Chine ne respecte pas les droits humains, etc. Certaines sont vérifiées, d’autres non. En tout cas, on remarque un emploi de vocabulaire qui est généralement négatif quand on parle de la Chine, et c’est une forme de racisme. Il se génère au niveau institutionnel, politique, de la recherche, et se diffuse ensuite dans la société française.

Il y a des convergences des luttes : la lutte contre le sexisme touche les femmes asiatiques, qui le subissent quotidiennement. L’antiracisme aussi fait partie de cette convergence. Les violences policières sont une lutte partagée. Les enfants de Liu Shaoyao ont monté un groupe de soutien pour demander justice pour leur père. En tant que franco-chinoise, je me sens concernée par ces faits de société, et cette prise de conscience en France. Ces revendications, ces demandes, ces manifestations pour la justice de Liu Shaoyao s’inscrivent dans un contexte plus large contre les violences systémiques.

Concernant la lutte contre le racisme anti-asiatique, je pense que la réponse pour faire progresser la société française peut être, à mon sens, la même que pour le sexisme ou pour toutes les formes d’oppression. Toutes ces formes d’oppression sont aujourd’hui régulièrement dénoncées et pour lesquelles on cherche à la fois un appui institutionnel et une médiatisation, une prise de conscience, une sensibilisation et un travail éducatif auprès de la population.

Lutter contre le racisme, c’est à la fois dénoncer ceux qui le pratiquent. C’est demander à nos institutions, aux personnes qui nous représentent, d’en faire une priorité dans les politiques publiques, de l’inscrire dans les programmes de l’Education Nationale. Mais aussi c’est rendre responsables ceux qui se rendraient coupables de racisme et qu’il y ait des réparations. C’est une réponse qui est globale. Qui peut se faire pour toute sorte d’oppression.

Affiche du Podcast Kiffe ta race

FORIM : Quels liens entre les Chinois de France et le pays d'origine?

Sacha : J'ai toujours observé que les Chinois de France de même que les Français d'origine chinoise étaient tournés vers la France plutôt que la Chine, peu sont ceux de la deuxième génération à garder des liens effectifs avec la Chine. Mais l'apparition d'une forme de sentiment anti-chinois pousse de plus en plus les Chinois de France à se tourner vers leur pays d'origine et à se réapproprier cette culture qui constitue à la fois un atout sur le plan professionnel mais aussi un éventuel refuge par rapport au spectre d'un échec social en France.

Grâce : En ce qui concerne mon lien avec mon pays d’origine, je suis Chinoise du Cambodge. Donc je suis à la fois Chinoise, et mes parents viennent de Chine. C’est-à-dire qu’il sont nés au Cambodge dans une communauté, une famille chinoise. Ma mère est Cantonaise, mon père est Teochew.

Mon lien avec mon pays d’origine ? Je fais des voyages touristiques. J’ai de la famille qui a pu se réinstaller dans ces territoires [chinois]. Moi, personnellement, je ne travaille pas avec ces territoires. Je ne suis pas activement liée au pays d’origine. Mais j’ai une grande fascination pour sa culture, et pour mon héritage. Je ne pourrai pas, bien sûr, répondre au nom des Chinois de France. Je n’ai pas de mandat pour parler en leur nom.

FORIM : Enfin, comment voyez-vous le "monde de demain"?

Sacha : Pendant le confinement, chacun s'est mis à imaginer «le monde d'après». Je n'ai pas attendu pour œuvrer à un monde de Paix et de compréhension entre les peuples. Mais comment se comprendre séparés par des écrans de smartphones, séparés par la distanciation sociale, la suspicion et les restrictions de voyage?

La crise du Covid-19 a mis en suspens les interactions sociales, le temps d'aujourd'hui est celui de la remise en question de nos sociétés et de la refonte de nos acquis et certitudes. Je vois le monde de demain bien partagé entre ceux qui auront su construire des fondations humaines solides qui leur permettront d'apprendre, de comprendre, de transmettre dans un monde meilleur qu'ils auront eux-mêmes créé et ceux qui s'enliseront dans des problématiques non résolues du passé, incapable de se projeter dans le monde de demain.

Il est difficile de lancer un pronostic sur le monde de demain mais toute crise à deux faces, d'un côté le danger de destruction et de l'autre l'opportunité de se renouveler, d'évoluer, de s'entraider. J'espère que celles et ceux qui liront ces lignes seront convaincus que le monde de demain se construira sur nos prières d'aujourd'hui, puissent-elles rapprocher les gens et consolider la Paix entre les différents peuples.

Grace : Le monde de demain ? En fait, il n’y en a pas ! C’est le monde d’aujourd’hui. On fait aujourd’hui notre monde, chaque jour. Le monde d’aujourd’hui, celui qui se profile, c’est un monde où il n’est plus possible de mépriser les autres. On le voit grâce aux mobilisations, à l’organisation des personnes qui sont les premières concernées par les oppressions comme les femmes, comme ceux qui souffrent de racisme, ceux qui sont victimes des violences policières. Il y a des mobilisations, il y a dans l’espace public des revendications fortes de ces personnes et toute la société pourrait en bénéficier puisque cela ne concerne pas qu’une seule personne.

Le monde d’aujourd’hui se construit tous les jours. Je vois depuis la fin du confinement notamment, une présence sur les réseaux sociaux mais aussi dans la rue de beaucoup de personnes qui demandent à être entendues et être respectées dans leur singularité. Et ces voix ne sont pas forcément entendues, mais j’ai bien l’impression qu’elles ne vont pas cesser de se faire entendre avant d’obtenir de la part des personnes qui nous représentent dans les institutions de gouvernance de la France, d’être considérées et de faire avancer ce qui doit l’être.

Chronique rédigée par Chadia Arab, Jacques Ould Aoudia, Benoit Mayaux

Comité de rédaction : Chadia Arab, Benoit Mayaux, Jacques Ould Aoudia, Patrick Rakotomalala

Mise en forme et communication : Randa Chekroun, Pierangela Fontana

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1. Etat des lieux : une situation sanitaire maitrisée

La Tunisie est un pays de 11,5 millions d’habitants sur une superficie de 162 155 km2. Le pays a été relativement préservé par le Covid19, mais la crise sanitaire a impacté néanmoins d’autres secteurs du pays.

Officiellement, la pandémie de Covid-19 a commencé à se développer en Tunisie le 2 mars 2020.  Rapidement, des mesures exceptionnelles ont été prises d’une manière progressive. En effet, le 9 mars, le conseil de sécurité national présidé par le président de la République Kaïs Saïed, a annoncé des mesures strictes telles que la limitation des transports avec l'Italie et la suspension des cours dans tous les établissements scolaires et universitaires. Le 13 mars, le chef du gouvernement annonce le passage au niveau 2 avec la suspension des prières collectives et l'annulation des congrès et des manifestations culturelles ainsi que la fermeture des cafés, restaurants à partir de 16 heures. Les frontières maritimes sont fermées et les liaisons aériennes interrompues avec l'Italie et limitées avec la France, l'Égypte, l'Espagne, le Royaume-Uni et l'Allemagne.  Le gouvernement a décidé en plus l’isolement en quarantaine pendant 14 jours de toute personne entrant sur le territoire national.

Ensuite presque chaque jour des nouvelles mesures ont été prises comme la fermeture des frontières terrestres et aériennes, l'interdiction des rassemblements, la fermeture des souks et des hammams et la mise en place d'horaires restreints de travail pour certains salariés (travail administratif, entreprises privées, etc.) dès le 18 mars.

Le couvre-feu a été décrété à partir du 18 mars, de 18 heures à 6 heures, sur tout le territoire national et le 20 mars, le président de la République annonce dans une allocution télévisée un confinement total ainsi que l'interdiction de tous déplacements entre les agglomérations.

L'État débloque dans la foulée trois milliards de dinars (environ un milliard d'euros) afin de financer un plan d'aide pour soutenir les entreprises et les plus pauvres. Cependant, ces mesures apparaissent insuffisantes, notamment pour les plus pauvres et les travailleurs du secteur informel qui ne peuvent cesser le travail du jour au lendemain. Dans certaines villes, des habitants manifestent contre les autorités, malgré l'instauration du confinement, pour dénoncer le manque de nourriture.

À partir du 4 mai débute la première des trois phases de déconfinement progressif décrété par le gouvernement, qui planifie de redémarrer l'économie progressivement entre le 4 mai et le 14 juin, et ce en fonction de l'évolution de la pandémie dans le pays. Au 26 juin, on compte 1 164 cas de contaminations confirmés pour un total de 50 décès selon les sources du ministère de la Santé tunisien.

Plusieurs opérations ont eu lieu telles que l’installation d’un hôpital militaire dans le sud, la mise en place de tests rapides dans plusieurs gouvernorats, la mise en place d’autorisations de déplacement, l’utilisation de drones par le ministère de l’intérieur pour le contrôle des déplacements.

Ensuite une deuxième phase de déconfinement a commencé en juin avec par exemple l’ouverture des cafés dès le 4 juin en respectant les gestes barrières et les salles de fête dès le 14 juin, tout en respectant le protocole sanitaire établi par le ministère de la Santé. Le 8 juin, le président Saïed annonce la levée du couvre-feu.

Du 29 mars au 29 mai, l’état tunisien confirme le rapatriement de 25 000 ressortissants tunisiens environ dont 2/3 par voie aérienne et 1/3 par voie terrestre Plusieurs pays ont proposé des aides à la Tunisie comme le Qatar avec un hôpital itinérant, l’Allemagne et la France avec des dons d'équipements médicaux ou la Chine avec la venue de médecins chinois venus épauler leurs homologues tunisiens.

La crise sanitaire a été relativement maitrisée avec seulement 50 décès au total mais les autres aspects (économiques, sociaux, relations avec la diaspora…) n’ont pas fait l’unanimité.

2. Conséquences économiques et sociales

Le secteur le plus touché est celui du tourisme qui selon la Banque centrale de Tunis, avec des pertes qui dépassent les 4 milliards de dinars tunisiens soit environ 1,3 milliards de dollars. Plus de 2500 entreprises sont touchées par la crise selon le ministre des finances.

Le 20 mai, le gouvernement annonce plusieurs mesures comme la mise en place d’une ligne de crédit de 500 millions de dinars tunisiens pour les établissements hôteliers pour payer les salaires.

Selon une étude, 430 000 emplois ont été perdus temporairement durant la crise du coronavirus. Et une baisse du PIB tunisien de 46,4 % durant le deuxième trimestre 2020.

Concernant les mesures économiques et sociales mises en place, plusieurs tâtonnements et maladresses ont provoqué la colère des tunisiens comme l’annonce d’aides pour certaines catégories de personnes qui a provoqué un grave problème de distribution dans les bureaux de poste ou la mise en place d’aides pour les entreprises à travers des liens internet qui ont mal été maitrisées.

Plusieurs programmes d’aides dans certaines régions ont été faits dans la précipitation et sans prendre en compte la réalité des catégories de personnes les plus démunies.

3. Rôle et actions de la diaspora tunisienne

La Tunisie compte plus de 10% de ses nationaux à l’étranger. Et dès le début de la crise sanitaire cette diaspora a, à travers plusieurs associations et collectifs constitués pour l’occasion, répondu selon ses moyens aux conséquences de la pandémie. La majorité de la société civile a adhéré aux mesures prises par le gouvernement Tunisien et a adhéré à la politique de prévention qui visait à freiner fortement la propagation de la pandémie.

Dès le déclenchement de la crise, la CAITE (Coordination des associations de l’immigration des tunisiens à l’étranger) et d’autres groupements associatifs avaient invité toutes les associations des Tunisiens en Europe, à suspendre toutes leurs activités impliquant la présence du public ou leurs adhérents et appelés à participer, à leur niveau et dans leurs pays respectifs, à la lutte contre la propagation de l’épidémie du coronavirus.

L’Etat a mis en place une collecte internationale d’ampleur qui a réussi à réunir plusieurs milliards de dinars pour aider à équiper les hôpitaux et infrastructures hospitalières et la diaspora tunisienne y a contribué fortement.

Plusieurs autres collectes d’argent et de matériel ont vu le jour partout en Europe et dans le monde entier par des associations ou collectifs tunisiens pour venir en aide aux Tunisiens tant à l’étranger qu’en Tunisie. Certaines collectes avaient pour objectif une aide alimentaire d’urgence pour les familles démunies en Tunisie et d’autres pour aider les hôpitaux et centres hospitaliers tunisiens à s’équiper en matériel.

Certaines initiatives étaient mises en place au niveau national mais la plupart des collectes ont été mises en place par des groupes d’une même région d’origine pour venir en aide à leurs villes et villages.

Cette crise sanitaire a révélé l’absence criante de moyens matériels suffisants et d’équipements sanitaires publics dans les établissements tunisiens.

4. Crise des TRE (Tunisiens résidents à l’Etranger)

La diaspora tunisienne appelée TRE (Tunisiens résidents à l’étranger) a participé et aidé le pays durant la crise Covid-19 mais ceci a aussi mis en lumière un problème structurel du rôle mal compris et mal géré de cette diaspora par les gouvernements successifs.

En effet, la crise sanitaire du covid19 a eu pour conséquences des campagnes d’hostilité à l’égard de la diaspora et des mesures discriminatoires qui l’ont visé à travers une communication maladroite du gouvernement (différence entre cas dits « importés » et cas « locaux » pour chaque personne contaminée)

Et comme le dit monsieur Hédi CHENCHABI, militant associatif, « Malgré les avancées en termes de droits de vote et le changement de certaines pratiques de l’ancien régime, la Tunisie a du mal à mobiliser les richesses et les compétences de cette diaspora. L’opinion publique et certains médias continuent à véhiculer une image et des idées qui manifestent une méconnaissance des réalités de l’immigration, des TRE et de leurs droits à vivre dans l’égalité avec les autres nationaux. Et cette ressource inestimable que constituent les TRE n’est plus à démontrer. Comme le soulignent tous les indicateurs économiques, sociaux, culturels et humains. Maltraités par les gouvernements successifs et sous prétexte de Covid-19 importé par eux, les TRE se trouvent dans des situations critiques et discriminés par des propos hostiles, des attitudes vexatoires et la prise de mesures inacceptables concernant les frais consulaires et les restrictions et obligations diverses pour revenir au pays auprès de leurs proches. »

Les mesures discriminatoires, vexatoires et hostiles envers la diaspora ont été alimentées par certains médias et ont provoqué des campagnes néfastes des deux côtés : certains Tunisiens de l’intérieur ont lancé des campagnes pour interdire le retour de la diaspora au pays pour ne pas « contaminer les tunisiens de l’intérieur », et de l’autre côté plusieurs collectifs de la diaspora ont appelé à boycotter le retour au pays pour cette année.

Ainsi, plusieurs collectifs tel que celui des « Associatifs Tunisiens de l’étranger » ATE très actif avec plus de 40 associations en Europe a communiqué dans ce sens : « nous réfutons avec force et condamnons les allégations haineuses contre les Tunisiens résidents à l’étranger et rentrant en Tunisie, accusés d’importer et de disséminer le virus dans leur pays. Les tunisiens à l’étranger et surtout ceux qui résident en Europe sont victimes de la pandémie. Parmi eux, les migrants les plus fragiles (sans papiers, étudiants personnes isolés etc.…) ont besoin de notre solidarité et des actions spécifiques doivent être menées à leur égard. »

En plus de ces campagnes discriminatoires, une maladresse du gouvernement envers la diaspora s’est ajoutée à cela en augmentant d’une manière brusque les tarifs des opérations consulaires de 300% environ au tout début de la crise sanitaire.

Cette mesure a ravivé les doléances de plusieurs collectifs et membres de la société civile tunisienne à l’étranger qui ont exprimé et formulé plusieurs demandes aux gouvernements successifs depuis 2011, et restées toutes sans réponse.

Cette situation a permis de créer une dynamique entre associations et collectifs pour une meilleure prise de conscience de leur rôle dans le développement du pays et a permis aussi de réfléchir à une vraie refonte des politiques économiques, sociales, et fiscales applicables aux tunisiens résidents à l’étranger dans un souci d’égalité et tenant compte de l’évolution des usages et des nouvelles technologies.

Plusieurs collectifs ont exprimé leur souhait de voir le gouvernement tunisien, et plus particulièrement les départements ministériels et les administrations en liaison directe ou indirecte avec les Tunisiens résidents à l’étranger, à plus de concertation avec leurs représentants et avec la société civile à l’étranger et à plus d’efficacité dans les mesures et dispositions qui impactent les conditions de vie des Tunisiens à l’étranger.

Grand témoin :

Maher HANIN

Sociologue et philosophe, chercheur en philosophie sociale Laboratoire (Philab université de Tunis), auteur de ‘’ la société de résistance ‘’ (2019) et de sociologie des marges au temps du Coronavirus (2020)[1]  ; membre fondateur et militant du FTDES (Forum Tunisien pour les droits économiques et sociaux ) , membre de l’association Nachaz

Propos recueillis par Chadia ARAB, Vice-Président FORIM, membre d’IDD

Question 1 : Quelle est la situation de la crise sanitaire en Tunisie et particulièrement pour les migrants ?

Entre l’annonce officielle du premier cas de Covid- 19 positif, en Tunisie le 2 mars 2020 et le 14 juin 2020 date du dé confinement officiel le bilan de la Tunisie est plus qu’honorable, malgré une infrastructure de santé publique modeste, et grâce à un cadre médical engagé et compétant la Tunisie a maîtrisé la pandémie. L’histoire nous renseignera sur les autres facteurs (climatiques, démographiques, ou se rapportant aux protocoles de vaccination propre au pays …) qui ont probablement aidé la Tunisie et toute l’Afrique à résister.

Le gouvernement, fraîchement installé le 26 février 2020, a affronté en un premier temps un attentat terroriste dans le nouveau quartier d’affaires du Lac, pas loin de l’ambassade américaine, visant un poste de police, s’est très vite converti en un gouvernement anti-covid. Et bien que l’usage de mot guerre a été inapproprié, on a vu la mise en place d’un plan gouvernemental visant à apporter les réponses nécessaires et urgentes aux différents problèmes et revendications que nécessite une crise sanitaire pareille, aussi bien auprès des couches sociales démunies qu’au entreprises.

En effet, une batterie de mesures économiques et sociales a été décidée par le gouvernement le 22 mars 2020 dont l’enveloppe totale a été estimée à 2.5 milliards de dinars. Une lecture globale de ces mesures met en évidence l’engagement social de l’Etat à protéger en premier lieu la vie et la santé des Tunisiens : fermeture des écoles, des mosquées et des frontières, confinement total de de deux mois et mise à l’arrêt de tout le pays.

Le montant comporte des dépenses à caractère social, telles que la mise en place d’un fonds exceptionnel pour les plus fragiles, doté de 150 millions de dinars. Une panoplie des dotations a été allouées aux PME et qui concernent le report de paiement des charges fiscales et sociales pour trois mois, tout en aboutissant à rééchelonner leurs dettes fiscales et sociales sur une période de 7 ans.

Un fonds d’investissement de 500 millions de dinars consacré à la capitalisation et à la restructuration des entreprises touchées par la crise a été mis en place, pour venir en aide aux entreprises partiellement exportatrices qui ont souffert immanquablement de l’impact de la crise mondiale. Les autorités publiques ont permis d’augmenter leur chiffre d’affaire sur le marché local de 30 à 50%, et jusqu’à 100% pour les entreprises exportatrices opérant dans le secteur de l’agroalimentaire.

La Banque centrale est intervenue, de son côté, en décidant de baisser le taux directeur de 100 points de base (qui passe ainsi de 7.75% à 6.75%) et de reporter de six mois le paiement des échéances de crédits bancaires pour les entreprises.

Il est indéniable que, globalement, la jeune démocratie Tunisienne en dépit d’une croissance faible en 2019, de la tension en Libye, pays voisin déchiré par la guerre, et des tiraillements qui divisent la classe politique et la coalition gouvernementale elle-même, a tiré son épingle du jeu face à la crise sanitaire.  De quoi se réjouir, et on ne s’en privera pas. Le dynamisme qu’a montré la société civile, les nombreuses initiatives originales nourrissent, malgré le moment difficile, un certain optimisme.

Il n’empêche, cette réussite dans la gestion sanitaire n’a pas pu cacher la gravité de la crise économique et sociale que vit le pays et le débat parfois houleux entre économistes et acteurs politiques sur les programmes de sauvetage puis de relance adéquats et des voix s’élèvent pour une rupture avec les théories néolibérales orthodoxes désastreuses.

Q 2 : Quel travail avez-vous mener au sein du FTDES en soutien avec les migrants ?

Puisqu’il s’agit d’une crise sanitaire, en premier lieu, qui a mis à nu les inégalités sociales qui divisent, le pays rappelons que selon les données de l’OMS, l’espérance de vie à la naissance était de 76 ans en Tunisie en 2016. L’Esperance de vie en bonne santé est aujourd’hui de 66,3 ans, soit une perte de près de 10 ans en raisons d’incapacités temporaires ou permanentes et des conditions sanitaires et sociales. Bien sûr, la baisse de cette espérance de vie est plus forte chez les personnes pauvres.

Les indicateurs, en termes d’accès à l’eau potable, au système de santé, d’accouchement en milieu assisté, de malnutrition à la naissance de mortalité néonatale, de mortalité infantile, de proximité de centres de santé de qualité acceptable… expliquent aisément l’inégalité dans l’espérance de vie en bonne santé. Les personnes en situation d’inégalité en matière de santé sont de fait plus vulnérables en cas d’exposition au coronavirus comme l’a bien démontré l’économiste Azzam Mahjoub[1] dans une étude publiée récemment par le FTDES.

D’un point de vue sociologique la réalité vécue est douloureuse et les chiffres, désormais à la portée de tous, sont choquants : en plus des 700 000 chômeurs (un chiffre qui risque d’atteindre les 900 000 suite à la crise), il y a 285 000 familles démunies, 622 000 familles au revenu modeste ; 70 000 travailleurs de chantiers (emplois précaires dans le secteur public) ; 40% des 950 000 retraités perçoivent des pensions en dessous du SMIG. Ajoutons les dizaines de milliers d’ouvrières agricoles qui constituent 70% de la main-d’œuvre agricole.

Ces gens « d’en bas » que j’ai essayé de rendre visible à travers ma dernière publication, Sociologie des marges, ont fait irruption, à la faveur de la crise épidémique, dans le champ de vision des commentateurs et des décideurs. Hier encore, ils évoluaient dans la froideur opaque des chiffres, les voilà qui déboulent dans les rues, ou les points de distribution des produits de première nécessité. De l’invisibilité à l’hyper visibilité de crise. Il est primordial, pour notre démocratie, d’assurer les conditions de la banale visibilité de tout le spectre social. Ainsi l’idée selon laquelle les premiers concernés, c’est-à-dire les citoyens, doivent se voir accorder une place plus importante dans le débat public est à mes yeux d’une brûlante actualité, tant au niveau locale qu’à l’échelle mondiale.

Pour les migrants subsahariens, qui vivaient déjà avant la crise dans des conditions économiques incertaines. Voués à une double précarité psychologique (inhérente à l’illégalité du séjour) et sociale, ils vivent une double étrangeté : l’exil et le dénuement. La crise du coronavirus est venue bouleverser encore une existence fragile et des équilibres bricolés au jour le jour : l’organisation de fragments de communautés solidaires dans un environnement modérément hospitalier,

La crise a montré qu’il est temps de se pencher sur la question des migrants dans toute sa dimension : l’emploi précaire, le droit aléatoire au séjour… En un mot, la question de l’hospitalité qui doit être pensée non plus comme une question morale mais comme un impératif d’intégration sociale.

Quelques signes sont rassurants, aussi bien les Organisations non-gouvernementales (ONG) internationales à vocation humanitaire que les militants de la société civile tunisienne et les lanceurs d’alertes n’ont cessé d’attirer l’attention sur la situation des migrants et des réfugiés. Les décisions récentes du gouvernement et la collaboration entre le ministre des Droits de l’Homme et les collectifs associatifs pour venir en aide et organiser la solidarité avec les subsahariens sont de bon augure.

Reste la question du racisme. Question redoutable sur le double plan sociologique et anthropologique : la loi antiraciste est une avancée réelle, mais demeure insuffisante tant que le « rejet » des subsahariens demeure une banalité sociale. Il y a encore du chemin à faire.

En résumé tantôt déniées, tantôt reconnues par les gouvernants (incapables jusque-là d’apporter des réponses), les inégalités sociales et territoriales, la précarité et le mal être des invisibles, sont encore une fois dévoilées par cette crise. La fracture est monstre, la Tunisie pauvre souffre nous l’avons tous vu à l’œil nu. Il ne fallait pas un effort exceptionnel pour mettre sous les feux de la rampe la géographie sociale de la marginalisation. Aussi bien les régions de l’Intérieur, oubliées depuis des décennies, que les quartiers populaires qui ont constitué le territoire « privilégié » de la révolution et continuent aujourd’hui encore à être le terrain de prédilection de la parole et de l’action protestataire.

Les derniers chiffres dont nous disposons au FTDES, confirme que la capacité d’agir est encore vive :   1138 mouvements de protestation ont eu lieu durant les 100 premiers jours du nouveau gouvernement soit du (27 février au 5 juin 2020) malgré les mesures de confinement, 47,6 % des mouvements de protestation ont eu lieu dans la région du centre ouest (542). 331 mouvements ont eu lieu à Sidi Bouzid et 167 protestations ont été observées à Kairouan.

On se retrouve encore une fois face à un dilemme cornélien : d’un côté, des populations éloignées qui luttent pour l’accès à l’eau, pour la survie et la dignité ; de l’autre, un État qui, au nom de l’impératif sanitaire, demande aux habitants d’un bout à l’autre du pays, de respecter les mêmes directives administratives et sanitaires. Force est de constater que les directives institutionnelles uniformes achoppent sur la désobéissance des « sans-parts ». On retombe à chaque fois sur la même problématique : la reproduction de la domination et les politiques du mépris. C’est un confinement à deux vitesses : l’un observé dans l’inquiétude par les inclus l’autre subi et rude pour les exclus et les plus vulnérables.

La crise du coronavirus pourrait donc renforcer la dynamique de démocratisation déjà en cours depuis 2011, mais cette fois probablement loin de la bipolarisation identitaire. La constitution de la IIème République, issue d’un long débat, dans l’hémicycle comme dans la société civile, a entériné le caractère civil de l’État. Elle a également proclamé un État social, même si on y prête moins attention : 30 articles sur les 148 de la nouvelle loi fondamentale sont consacrés à détailler les droits économiques, sociaux et environnementaux. Cette constitution repose bien sur une plateforme propice à l’invention du « commun » et d’un nouveau contrat social.

La démocratie tunisienne, la seule qui persiste dans la région suite aux révoltes arabes de 2011 et la plus jeune démocratie au monde est de nouveau face à son destin : consolider les libertés et bâtir une société juste et lutter contre les inégalités criantes ou dépérir doucement.

Pour l’ONG Oxfam[2], le système fiscal tunisien pèse de manière démesurée sur les classes moyennes et pauvres au profit des plus aisés. Ce système est modelé par la vision néolibérale préconisée par les institutions financières internationales qui ont encouragé la libéralisation de l’économie tunisienne à travers de vastes plans d’ajustements structurels à partir des années 1980. Ces politiques de libéralisation consistent à faire prévaloir les impôts indirects et à alléger le coût du capital. Ce qui a encouragé le développement du secteur privé pour servir les plus aisés, au détriment de services publiques essentiels et de qualité accessibles à tous.

Le dernier rapport du PNUD[3] tire la sonnette d’alarme :  les franges les plus impactées par le covid-19 sont les ouvriers, les chômeurs et  autres inactifs qui subissent une détérioration  importante de leurs revenus relativement aux autres catégories de ménages.  Les inactifs et les chômeurs sont parmi les plus affectés par le choc sanitaire car, en plus de la hausse des prix, ils subiraient l’effet de la baisse des revenus de leurs proches (qui les entretiennent faute de couverture chômage). Il est à noter également, selon la même étude, que le taux de la pauvreté extrême augmenterait suite au choc introduit par le covid-19. Il passerait de 2,9% à 3,3% à l’échelle nationale. Il est donc important de noter que la pandémie du covid-19 augmenterait la pauvreté des catégories les plus démunies du fait de leur plus grande exposition, non seulement au risque sanitaire, mais également aux conséquences socio-économiques.

Le nouveau contexte est clair, il est maintenant urgent d’agir de manière concrète.

Q 3 : Dans votre dernier livre, vous proposez une réflexion sur les contextes social et politique de la post-Révolution, avec une société de résistance qui s'organise et des nouvelles formes d'engagement. Cette société peut-elle finalement résister à la crise économique, sociale voir politique qui risque de voir le jour ? Comme voyez-vous le monde d'après Covid?

A mes yeux, le moment 2011 est un événement historique majeur pour nous Tunisiens, Maghrébins, Musulmans et peuples de la région, il nous appelle à une réelle ‘’renaissance ‘’ qui ne peut se faire que dans un cadre de solidarité internationale et altermondialiste.

La « société de résistance » n’est en ce sens qu’une catégorie analytique qui tente de cerner ce que la transition politique tunisienne recèle de plus émancipateur. Le livre focalise sur cette effervescence de pratiques en dehors du champ de la politique institutionnelle, et parfois dans l’opposition aux processus politiques « d’en-haut » sans cacher la difficulté de marier la patience des concept et l’urgence d’agir.   J’ai voulu souligner par cet essai l’empreinte du « moment 2011 », et l’appréhender comme un tournant démocratique et social avant tout. J’ai aussi voulu attirer l’attention sur cet univers de dynamiques dissidentes, qui ne peut être réductible à la catégorie de « société civile » classique.

Les mouvements de protestation post-2011, font toujours écho aux lames de fond portées par les colères populaires qui grondent depuis des années, bien avant 2011. Chez nous, chez nos voisins et de par le monde, les émeutes populaires continuent. Le libéralisme est en crise et il n’a pas de réponse pour la planète, pour les sociétés et pour le prétendu « choc des civilisations ». Un sentiment collectif est largement partagé mondialement : ‘’il est impossible de continuer à gouverner le monde et la planète ainsi’’.

Le cri de la société d’en bas qui a fait chuter dans notre pays la tête du régime retentit encore et toujours au fond de la population des oubliés : dans les « favelas », dans les régions, dans les lieux de travail, dans les stades et dans les espaces de contestation et à travers les différentes formes d’expressions artistiques « underground ». Il est porté par les jeunes qui développent leurs propres sociabilités politiques, ainsi que de nouvelles formes d’engagement spontanées, horizontales et distancées.

Une partie de cette jeunesse s’auto-immunise contre l’extrémisme violent, contre les tentations de prendre les embarcations de la mort et de partir. Elle résiste contre le désespoir et elle cherche désespéramment une gauche politique qui s’assume et qui résonne avec son cri. Elle ne la voit pas, hélas. Leurs désirs de persévérer dans l’action est salutaire.

Une multitude de mouvements de contestation est en train d’inscrire son combat dans un cadre légal, en faisant référence aux différents articles de la Constitution de 2014. La lutte pour le droit de manifestation, pour les libertés, pour les droits des femmes, pour l’accès à l’eau, à l’éducation, à la santé, au travail digne, à un environnement sain…, s’inscrivent déjà depuis 2014 dans un cadre référentiel citoyen et civil.

La notion d’économie de rente fait son entrée dans le débat public tunisien. Elle désigne la collusion entre le pouvoir politique et un cartel de familles qui contrôle l’activité économique.

L'impôt sur la fortune est aussi un sujet de débat comme arme de lutte contre les inégalités : une bonne partie du patrimoine privé qui ne sert pas à créer de richesse, des emplois doit être taxée au profit de la société toute entière.

La question de la dette en générale et de la dette extérieure en particulier est, de nouveau posée avec acuité :  celle-ci est en effet passée de 40% du PIB en 2010 à près de 80% aujourd’hui. Les principales causes de cette augmentation sont le creusement du déficit budgétaire, lié au déficit commercial et la détérioration de la valeur du dinar. Négocier cette dette en temps de crise est une opportunité historique, ceci reposera avant tout sur une volonté nationale et un rapport de force politique. Plus question de se vanter être le bon élève des institutions internationales. Il faut se défendre, il y va de la survie de notre économie et de la prospérité de notre société.

D’autre initiatives qui dans le domaine agricole, dans la lutte contre la corruption ou la promotion de l’économie sociale et solidaire… voient le jour. Grâce aussi à cette société civile et à cette jeunesse habitée par « la puissance d’agir », qui ne lâchent rien, la société de résistance est bel et bien une réalité.

En bref, un réel désir intellectuel, social et citoyen de poser la question sociale anime des acteurs infatigables chez qui le souci de garder le souffle de la révolution demeure intact

Ce que j’ai entamé dans la Société de résistance, et que j’ai prolongé dans un contexte autre, dans la Société des marges, focalise sur une question centrale à savoir le devenir des couches les plus précaires, les familles de faibles revenus, les régions intérieures et les quartiers populaires d’une part et les mouvements qui les portent et les défendent.

Disons que le nouveau mot d’ordre est, de souligner le primat de la question sociale dans le débat politique qui accompagne notre transition démocratique. Nous le réaffirmons : il n’est pas d’intégration politique, ni de construction démocratique viable sans intégration sociale. Cette évidence qui est la raison d’être du FTDES et de son activité, se révèle aujourd’hui encore plus éclatante.

Plus que jamais, le droit à un travail digne, les droits à la santé, à l’enseignement, à tous les services publics sont devenus impératifs. Le développement des régions les plus pauvres, la sécurité et la souveraineté alimentaire, la sauvegarde du tissu économique national… sont les préconditions d’une intégration sociale véritable. Une intégration reposant sur la production de richesse, la justice, l’égalité des chances et la dignité de chacun. Tant que ces priorités seront occultées par les politiques économiques rivées sur les « grands équilibres » comptables et sourds aux aspirations des catégories et des territoires les plus démunis, la démocratie tunisienne restera boiteuse et fragile.

Au-delà de notre petit pays, toutes les lectures et analyses de la pandémie et des moyens d’y faire face, tout comme les projections de « l’après-crise », nous renforcent dans l’idée qu’une nouvelle séquence s’ouvre dans le combat des peuples et des classes les plus pauvres, de tous les damnés de la terre contre les oligarchies qui règnent sur l’économie mondiale et en monopolisent les bienfaits. Beaucoup de mouvements transnationaux, d’ONG, de syndicats, de mouvements politiques affutent déjà les argumentaires en attendant de mobiliser les gens pour la confrontation qui vient.

A nous aussi, Tunisiens et Maghrébins, de nous tenir prêts et de nous doter des moyens d’y contribuer. Les gens sont conscients de leurs droits ; ils sont prêts à les défendre… Reste à penser, à imaginer et à mettre en place le cadre, la feuille de route et à réunir les volontés pour entrer dans l’arène.

[1]  -la Société de résistance, post islamisme, post bourguibisme, post marxisme ed Mots passants, Nahcaz 2019

-Sociologie des marges au Temps du Coronavirus trad de Hichem Andessemad ( FTDES ) juin 2020

[2] Ftdes. Pandemie-covid-19-en-tunisie-les-inegalites-les-vulnerabilites-a-la-pauvrete-et-au-chomage 2020

[3]  Rapport OXFAM : Le système fiscal tunisien pénalise les classes moyennes juin 2020

[4] UNDP-TN-Impact-covid-sur-léconomie-tunisienne-2020

Chronique rédigée par Fayçal BENABDALLAH, président de la FTCR, Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives

Comité de rédaction : Chadia Arab, Benoit Mayaux, Jacques Ould Aoudia, Patrick Rakotomalala

Mise en forme et communication : Randa Chekroun, Pierangela Fontana

Les propos contenus dans la présente publication n’engagent que leurs auteur.e.s 

Le défi mondial constitué par la pandémie de la COVID-19 est arrivé en Amérique Latine comme l’explique Sabine Grandadam du Courrier International du 29/05/2020 « Du Brésil à l’Équateur, en passant par le Pérou, le Mexique et le Nicaragua, la région est touchée de plein fouet par la contagion, qui s’est accélérée ces dernières semaines. L’inquiétude grandit, alors que certains chiffres avancés par les scientifiques sont effrayants ».

Situé au nord du subcontinent sud-américain, le Venezuela avec plus de 30 millions d’habitants et ses 916.445 km2 ne fait pas figure d’exception. Le pays, déjà submergé dans une crise politique, financière et sociale, est pratiquement à la merci de cette pandémie.

I. Contexte du pays en lien avec l’épidémie

            Un contexte politique controversé

Depuis l’an dernier le pays vie une situation politique inédite avec deux présidents au pouvoir. Suite aux élections de 2018, considérées comme frauduleuses par différents groupes politiques du pays et institutions internationales, et en vertu des articles 233, 333 et 350 de la Constitution du Venezuela ; l’Assemblée Nationale déclare la présidence de Nicolas Maduro illégitime et proclame en janvier 2019 le président de l’assemblée, Juan Guaidó, comme le président par intérim du pays jusqu’à la tenue d’élections transparentes. Il est reconnu par une soixantaine de pays, dont les États-Unis, l'intégralité du Groupe de Lima (hormis le Mexique), et la France, mais n'a pas de pouvoir réel car le 

a ôté ses pouvoirs à l'Assemblée Nationale en créant une Assemblée constituante qui siège en parallèle, et qui est entièrement composée de membres du parti politique du gouvernement. Maduro, pour sa part, est reconnu notamment par la Chine, Cuba, l'Iran, le Mexique, la Russie et la Turquie. Il détient le pouvoir dans les faits, en grande partie, grâce au soutien de l'armée.

Cette bipolarité est le reflet de la grande rupture politique dans laquelle le pays est immergé depuis plusieurs années. Une situation où les accords politiques ne sont pas à l’ordre du jour et les manifestations réprimées par les forces de l’ordre sont fréquentes avec un solde important de prisonniers politiques. Cela a été dénoncé par le Haut conseil des droits de l’homme présidé par Michelle Bachelet, ancienne présidente du Chili[1].

[1] Le rapport du HCDH sur le Venezuela appelle à des mesures immédiates pour mettre fin aux graves violations des droits de l’homme et y remédier https://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=24788&LangID=F

De crise humanitaire à une situation d’urgence complexe

Depuis 2015, la crise que connait le Venezuela a des dimensions multiples : politique, sociale et économique. Elle se manifeste par la pénurie de nourriture et de médicaments, l’augmentation du taux de criminalité, l’essor de l’économie informelle, la faiblesse des institutions, l’exode massif et l’aggravation de la pauvreté.

En 2019, le Produit Intérieur Brut (PIB) par habitant s’est situé à 3 374 $US. On prévoit une baisse d’environ 20% en 2020. A noter que le PIB du pays en 2015 était de 10 568 US$ selon le Fonds Monétaire International. Une hyperinflation qui dépasse le 10.000.000% témoigne de l’effondrement de l’économie vénézuélienne.

L’inflation rend le panier alimentaire de base 25 fois plus cher que le salaire minimum, ce qui provoque la malnutrition dans la population vulnérable. 32% de la population est touché par la crise alimentaire nationale, rendant le Venezuela le pays avec la quatrième crise alimentaire du monde : sur les 18,5 millions de latino-américains qui souffrent de cette pénurie,. Plus de 50 seraient Vénézuéliens : 9.8 millions à l'intérieur du pays et 1.2 millions des migrants seulement résidant en Colombie et en Equateur[2][3]. Selon l’UNICEF, 6.3% des enfants vénézuéliens de moins de cinq ans souffrent de malnutrition aiguë.

Le déclin spectaculaire de la production agricole ainsi que les faits de corruption du Comité Local d’alimentation et de production (CLAP- principale politique gouvernementale sur ce domaine), ont empêché les communautés d’accéder à l’achat des denrées alimentaires. Des recherches réalisées par Transparency Venezuela indiquent que le secteur de l’alimentation, en grande partie sous domination militaire, a été utilisé à des fins de prosélytisme et de contrôle politique[4]

En ce qui concerne le secteur de la santé, la pénurie de matériel médical est alarmante : 90% des hôpitaux sont concernés. Les prix des médicaments, quand ils sont disponibles, sont exorbitants aux yeux d’un Vénézuélien disposant d’un salaire minimum. La coalition Codevida, qui regroupe de nombreuses associations de défense du droit à la santé, estime à 80% les pénuries de médicaments dans le pays[5], « conséquence : les épidémies de diphtérie et de rougeole se propagent, on assiste à des flambées de paludisme et de fièvre typhoïde ».[6]

Le programme de santé « Barrio Adentro » créé par l’ancien président Hugo Chavez avec la participation de médecins cubains afin d’assister les populations des bidonvilles, n’existe plus. La quasi-totalité des services d’urgences est en détresse ; plus de la moitié des blocs opératoires sont fermés ; le déficit des lits s’élève à 64% et la moitié des lits existantes sont hors service. L’effondrement des services publiques atteint de plein fouet les hôpitaux : 33% ne disposaient pas, en 2018, de générateurs d’électricité.

Si le pays dispose de beaucoup plus d’eau que nécessaire pour approvisionner l’ensemble de sa population, avec un territoire continental et maritime de 2 millions de km², le démantèlement de toute la structure institutionnelle et physique du secteur compromet la qualité des sources d’approvisionnement, et les processus de traitement et de potabilisation des eaux.[7] D’après un récent rapport de l’Observatoire vénézuélien des services publiques (OVSP), seulement 16.7% des ménages reçoivent l’eau de manière continue. La situation s’aggrave parce que le pays dépend énergétiquement du barrage Guri pour produire plus de 65% de l’électricité consommée dans le pays. Actuellement, 9 de ses 20 turbines sont endommagées et il n’y a aucun plan pour les réparer. Des coupures de courant de plus de 12 heures se produisent régulièrement sur une grande partie du territoire national.

[2] Codevida. 9.3 millions de Vénézuéliens sont en situation de crise alimentaire. 27/04/2020.

[3] Agence régionale pour l'agriculture et l'alimentation. Rapport mondial sur les crises alimentaires 2020

[4] Transparency International - Venezuela. Rapport : Quarantine, a convenient restraint? May 2020.

[5] Complex Humanitarian Emergency in Venezuela. Right to Health. National Report. September 2018

[6] https://www.secours-catholique.org/actualites/venezuela-la-crise-humanitaire-est-sans-precedent

[7] Complex Humanitarian Emergency in Venezuela. Right to Water. National Report. October 2018

Des Vénézulién.ne.s à Caracas remplissent leurs bidons d’eau comme ils le peuvent, PHOTOS : AFP / EFE

Enfin, le Venezuela reste l’un des pays ayant le plus grand nombre de morts violentes dans la région et dans le monde, avec une estimation en 2019 d’au moins 16 506 morts et un taux de 60,3 morts violentes pour 100.000 habitants, suivi par El Salvador avec un taux de 48 morts. Les exécutions extrajudiciaires sont devenues un facteur important dans la reproduction de la violence dans le pays[1] : entre 2012 et 2019 ont été rapportés 10 970 exécutions extrajudiciaires et on comptabilise 357 durant le premier trimestre de 2020[2].

Ces circonstances ont déclenché une émigration massive des Vénézuéliens. Selon le Haute commissariat des Nations unies pour les réfugiés, environ 5 millions de personnes sur les 31 millions d’habitants ont fui le Venezuela depuis 2016. L’ONU estime qu’il s’agit du déplacement de personnes le plus important de l’histoire récente de l’Amérique latine[3]. L’exode vénézuélien est au deuxième rang mondial, après celui des Syriens alors que le pays n’est pas dans une situation de guerre ou de désastre naturel.

[1] Observatoire national des violences. https://observatoriodeviolencia.org.ve/news/informe-anual-de-violencia-2019/

[2] COFAVIC. ONG contre la torture. https://cofavic.org/wp-content/uploads/2020/05/Informe-Venezuela-enemigos-internos_2020.pdf

[3] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/02/08/fin-2019-un-venezuelien-sur-six-aura-quitte-son-pays_5421099_4355770.html

 

Tous ces éléments ont généré une « situation d’urgence humanitaire complexe » (UHC) dans le pays. Telle situation est définie « comme une crise humanitaire grave, qui est le résultat d’une combinaison d’instabilité politique, de conflits et de violence, d’inégalités sociales et d’une pauvreté sous-jacente »[1], reconnue par l’ONU et ses divers services, dont le Bureau de la coordination des affaires humanitaires et le Programme Alimentaire Mondial.

A la profonde crise économique, politique et sociale décrite précédemment un manque d’accès au carburant, déjà fréquent avant la pandémie s’est aggravée depuis le mois de mars, alors que le Venezuela dispose des plus grandes réserves de pétrole connues au monde. Le pays ne produit plus que le cinquième de son volume d’il y a dix ans, d’après l’OPEP. Ceci s’explique par la corruption et la décision du gouvernement de ne plus investir dans l’industrie pétrolière. Cela a pour conséquence un grand déséquilibre entre la consommation interne et la production, ce qui oblige à importer du combustible. Cette situation n’est pas nouvelle mais les sanctions américaines, la crise économique et les limitations de liquidités de l’Etat, en raison du niveau historiquement bas du cours du pétrole rendent difficile l’achat de carburant à l’étranger[2]. Avec la pandémie, le problème devient très grave.

[1] Site web Opération Paix

[2] https://observers.france24.com/fr/20200601-venezuela-penurie-essence-historique-queue-carburant

II. L'arrivée de la pandémie

Dans ce contexte fortement dégradé, le Venezuela a été un des premiers pays de l’Amérique Latine à imposer le confinement comme mesure de prévention contre le coronavirus. Comme la plupart des pays de la région, le Venezuela fait face au dilemme de la lutte contre la COVID-19 et l’activation de l’appareil productif.

Chronologie des mesures :

[1] OCHA. Venezuela : Plan intersectoriel de préparation et de prise en charge COVID-19. Avril 2020 https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/ven_covid-19_plan_intersectorial_2a_edicion_04102020.pdf

https://covid19.patria.org.ve/estadisticas-venezuela/ - 22/06/2020

Le conflit qui déchire le pays se retrouve dans les déclarations des uns et des autres sur l’avancée de la pandémie dans le pays.

[1] https://www.abc.es/internacional/abci-diosdado-cabello-ordena-perseguir-academicos-venezolanos-revelar-cifras-covid-19-202005141739_noticia.html

III. Zoom sur Feliciano Reyna : 

Fondateur de l’ONG Accion Solidaria (Action solidaire). Acteur humanitaire connu pour son travail dans la lutte contre le VIH-SIDA au Venezuela depuis 1994. Actuellement il est un acteur incontournable dans la défense des droits humains au Venezuela.

Quel est votre opinion sur l’accord signé entre le Ministère de la santé, l’Assemblée Nationale et l’OPS ?

L’accord signé entre l’équipe technique de la Commission de l’aide humanitaire de l’Assemblée Nationale et le Ministère de la Santé du Venezuela pour la gestion conjointe avec l’Organisation Panaméricaine de la Santé (OPS) de la réponse à la COVID-19, est une très bonne nouvelle. Notre reconnaissance pour l’avoir rendu possible. Nous savons que la conclusion de cet accord a été un processus long et complexe, mais nous sommes convaincus que, s’il est mis en œuvre dans des conditions favorables au développement des lignes prioritaires, il débouchera sur des mesures visant à répondre aux besoins de la population et à protéger le personnel de santé.

L’accord intervient également lorsqu’il est probable que la propagation du coronavirus au Venezuela aura un schéma similaire à celui d’autres pays de la région, une croissance progressive des cas qui, avec les mesures appropriées, diminueront également progressivement des semaines plus tard.

Quels enjeux dans la gestion de pandémie au Venezuela aujourd’hui ?

Il est impératif de renforcer la confiance de la population dans la gestion du virus, de réduire la peur et de promouvoir des mesures de prévention.

La population fait face à des situations de grave précarité et sort dans la rue quotidiennement en général par nécessité, et non par irresponsabilité. Créer la confiance implique de rapporter sur la base de preuves scientifiques : rapporter que plus de 80% des personnes qui ont contracté le virus sont asymptomatiques ou ont des symptômes modérés et les dépassent à la maison, et faire aussi savoir qu’il y a des personnes vulnérables qui peuvent se compliquer même sévèrement, et qu’il faut les protéger, en comprenant qu’il n’est pas facile pour la plupart de les isoler par les conditions de logement.

L’État est chargé de fournir les moyens d’accéder à des moyens et matériel de prévention tels que des masques, du savon, de l’eau, du gaz, de l’électricité, de l’essence et du transport, et des conditions qui contribuent à éviter les foules. Le manque d’accès oblige la plupart des gens à sortir tous les jours. Dans ces circonstances, au lieu de "distance sociale", nous devons promouvoir des mesures d’éloignement physique préventif, mais d’une grande empathie et proximité sociale, aider les personnes les plus vulnérables à se protéger. Ce sont des temps de responsabilité et de solidarité.

Non à la stigmatisation ni à la discrimination.

Le moment est également venu d’exiger une gestion adéquate de la riposte à la pandémie : la stigmatisation et la discrimination doivent cesser immédiatement. Ces deux pratiques ont été à l’origine des pires dommages causés par le VIH-sida. Toutes les personnes valent en elles-mêmes. Stigmatiser les personnes qui rentrent des pays de la région les plus touchés par la COVID et les soumettre à des traitements discriminatoires et vexatoires dans les lieux d’accueil peut conduire beaucoup de personnes à préférer des routes de retour telles que les "Trochas", qui les exposent à de plus grands risques.

Stigmatiser le personnel de santé, ceux qui partent travailler et qui n’ont pas les moyens de se procurer des changements quotidiens de masques ou de les réutiliser, ce n’est pas la réponse. Il incombe à l’État, au Ministère de la santé, de fournir les équipements et les ustensiles de protection personnelle

Il est urgent de progresser sur la voie de l’accord avec le Programme alimentaire mondial

Nous sommes face à une situation d’urgence humanitaire au sens large, pas seulement dans le domaine de la santé, qui exige donc des réponses globales, avec la participation d’acteurs divers, nationaux et internationaux. Les autorités doivent soutenir les équipes techniques, veiller à ce qu’elles soient en mesure d’informer la population de la situation en matière de santé, d’alimentation et de services, et enquêter sur les faits de criminalisation de ceux qui signalent ou exigent des conditions minimales de travail et les sanctionner.

Propos exprimés sur @fjreyna le 3 juin 2020, autorisé à publier. Traduction : Elizabeth FLORES PAREDES

IV. Initiative de diasporas et des associations dans le pays pour faire face.

Même si on pourrait citer un grand nombre d’exemples d’initiatives citoyennes pour faire face à la pandémie au Venezuela, le cas des associations Médecins Unis de Venezuela – France, Santé pour le Venezuela et Meals4Hope est emblématique. Grâce à la composition de ses membres issus du secteur médical et sanitaire, ces organisations jouent un rôle important dans la compréhension de l’épidémie, la prévention et le partage d’information entre les expériences internationales et les médecins au pays.

Ils ont uni leurs forces et leur expertise afin de lever des fonds pour fournir du matériel médical préventif à quatre grands hôpitaux situés dans les régions de Mérida, Acarigua et Maracaibo. Grâce aux 2000 € recueillis depuis mars à ce jour, 2250 gants, 1850 masques, 32 litres de gel hydro-alcoolique, 50 robes, 150 casquettes de chirurgien et 50 couvre-bottes ont été achetés et distribués sur place pour répondre aux urgences pandémiques. Ce matériel servira non seulement les professionnels de la santé qui opèrent dans le service d'hospitalisation, mais protégera également le personnel de transfert et d'assainissement ainsi que les patients infectés qui arrivent dans les centres de santé dépourvus de matériel de biosécurité.



Réception du matériel pour prévenir la contagion de la COVID-19 au Venezuela. Juin 2019. MUV-France et Santé pour Venezuela

Au niveau local cette diaspora souhaite aussi soutenir les initiatives de solidarités isolées qui ont vu le jour dans le pays même, comme « Le Plan bon voisin» dans un bidonville de Caracas, la capitale, qui distribue des repas aux personnes âgées isolées. Ce plan est venu d’une initiative privée née en mars 2020 avec la détection des premiers cas de Covid-19 au Venezuela, … « A moto, à vélo et en voiture, les douze volontaires distribuent chaque semaine 500 repas à environ 1.000 personnes âgées… »[1].

 

Les associations de la communauté vénézuélienne en France lancent un appel à la solidarité pour affronter le coronavirus au Venezuela

Mais le souhait de ces acteurs est de pouvoir agir avec plus d’impact. Dans ce contexte, les associations de la communauté vénézuélienne en France se sont concertées afin d’attirer l’attention des autorités françaises et européennes sur le cas du Venezuela. Dans ce sens, un communiqué a été rédigé et publié le 24 avril 2020 pour demander le soutien matériel et les médiations nécessaires à l’obtention de :

A ce jour, un premier accord entre le Ministère du pouvoir populaire pour la santé, l’équipe de conseil (equipo de asesoramiento) sur la santé de l’Assemblée nationale présidé par Juan Guaidó et l’Organisation Panaméricaine de la Santé pour affronter la COVID-19 a eu lieu[2]. Cet accord fait partie des demandes formulées par le communiqué et a été fortement salué par différents acteurs humanitaires et de la solidarité internationale[3].

C’est à partir de cette action conjointe que l’idée de la création d’une Fédération d’associations la communauté vénézuélienne en France est née. L’objectif est de mutualiser les actions de solidarité, de diffusion de la culture vénézuélienne en France et de la défense et promotion des droits humains au Venezuela. Idée saluée par le FORIM qui non seulement a soutenu cette première initiative, mais qui s’est engagée à accompagner la création de cette fédération. Cette diaspora active, organisée et engagée souhaite devenir un acteur clé lors des espaces de dialogue et de négociations en faveur de la construction d’une solution pacifique à la situation de crise de notre pays.

Nous vous invitons à connaître et rejoindre notre appel de solidarité en suivant le lien: www.fedeassoven.com

[1] Au Venezuela, la survie en période de pandémie tente de s'organiser : eunonews.com – 10/05/2020

[2] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/04/au-venezuela-un-accord-inedit-entre-maduro-et-guaido-pour-lutter-contre-le-virus_6041734_3210.html

[3] https://www.breakingnews.fr/international/borrell-applaudit-laccord-entre-maduro-et-guaido-et-souligne-que-le-dialogue-est-fondamental-pour-le-venezuela-510553.html

Chronique rédigée par Elizabeth FLORES PAREDES – Sociologue et PhD en démographie. Chargée de mission « Etudes, capitalisation et exploitation des données » au FORIM et Jenny QUINTIN – Enseignante. Co-présidente de l’Association La Souffle et La Flamme – Lauréate PRA/OSIM 2019

Comité de rédaction : Chadia Arab, Benoit Mayaux, Jacques Ould Aoudia, Patrick Rakotomalala

Mise en forme et communication : Randa Chekroun, Pierangela Fontana

Les propos contenus dans la présente publication n’engagent que leurs auteur.e.s

La gestion de l’épidémie s’est faîte sur des principes de fermeté et de pragmatisme.

Le Ghana est un pays anglophone entouré de trois pays francophones : la Côte d'Ivoire, le Togo et le Burkina Faso. Des liens étroits culturels et linguistiques existent entre les 4 pays : 45% de la population ghanéenne est composée d’Akans qui sont en même temps 33% de la population ivoirienne. Les Mossis constituent 26% de la population du Ghana et 40 % de celle du Burkina Faso. Et on recense trois millions d’Ewes au Ghana et 2 millions au Togo. Les diasporas sont représentatives des communautés ethniques des 4 pays.

Le 12 mars, le Ministère de la Santé, Mr. Kwaku Agyemang-Manu annonce que 2 cas positifs à la COVID-19 sont déclarés, importés de Turquie et Norvège[1]. Dans la foulée, le Président de la République, Mr. Nana Akufo-Addo annonce un plan de 100 millions de dollars pour faire face à la crise. Le 16 mars, le gouvernement déclare la fermeture de tous les rassemblements publics, conférences, enterrements, festivals, évènements sportifs, et cérémonies religieuses, pour 4 semaines. Le 22 mars, les frontières sont fermées. Le 30, un confinement partiel est mis en place dans les villes d’Accra et Kumasi, avec des exceptions pour les services essentiels. A la fin de mois de mars, 141 cas positifs sont répertoriés. Le 11 avril, alors que le nombre de cas est porté à 566 confirmés, les premiers cas apparaissent dans les régions de l’ouest et de la Volta, importés du Nigéria. Le Président étend l’interdiction des rassemblements jusqu’au 31 mai. Toutefois, les mesures de confinement ont été assouplies dès la fin du mois d’avril, permettant aux commerces d’Accra de fonctionner normalement, en recommandant le port du masque et les gestes barrières. Cette réouverture rapide a été perçue comme prématurée par les populations, notamment face à la rapide augmentation du nombre de cas.

Le 14 juin, les médias annoncent que le ministère de la Santé a contracté le virus.

La stratégie de lutte contre le virus adopté au lendemain du premier cas identifié le 12 mars s’est définie selon la règle des trois T, Tracing, Testing and Treatment soit Traçage Dépistage et Isolement/Traitement. Ainsi, en un mois, 11000 personnes ont été testées[2] .

[1] https://citinewsroom.com/2020/03/two-cases-of-coronavirus-confirmed-in-ghana/

[2] https://www.reuters.com/article/us-health-coronavirus-ghana/test-and-trace-has-worked-for-us-ghanas-president-says-idUSKBN22B2OE

Les conséquences économiques de la crise promettent d’être violentes. Le Ghana, principal producteur de cacao et d’or, connaitra sans doute sa pire année en terme de croissance pour 2020 depuis des décennies. Dès le début de la crise, la Compagnie Ghanéenne des Eaux et la Compagnie Ghanéenne de l’Electricité ont été enjoints d’assurer la continuité de leurs services. Le Gouvernement s’est engagé à prendre en charge les factures d’eau de tous les ghanéen.ne.s pour trois mois (avril, mai, juin).

Le Gouvernement s’est également engagé à soutenir l’économie. En partenariat avec les syndicats et les représentants du patronat, un plan de prêts de 600 millions de cedis (92 millions d’euros) pour les petites entreprises a été lancé.

Le rôle des diasporas pendant la crise

Les diasporas ghanéennes ont, à travers le monde, joué un rôle essentiel pendant la crise du COVID-19. Celle du Canada et des États-Unis a envoyé quelques 60,000 dollars au "National Trust Fund" établi par le président ghanéen, fond auquel lui-même et son vice-président ont abondé à hauteur de trois mois de leur salaire avril, mai et juin 2020.

La diaspora ghanéenne en Angleterre quant à elle a transféré 30,000 livres sterling, illustrant la contribution des diasporas d'autres continents à ce fond.

En France, elle a choisi une autre voie : celle de concentrer ses efforts dans le pays d’immigration. La décision impulsée par les membres du CAGEF (Collectif des Associations Ghanéennes en France) relevait d’un constat simple : la maladie a frappé de plein fouet la communauté ghanéenne de France. En Mars et en Avril, nous avons constaté de nombreuses hospitalisations dues au Covid 19 et nous perdions cinq personnes chaque semaine.

Notre action s’est déroulé sur deux volets :

  1. a) Construction d’une information scientifique simplifiée, partagée
  2. b) Identification de la population fragile et distribution d'une aide alimentaire.

La méthode :

Une équipe médicale et scientifique a été créée. Quinze jeunes (médecins, pharmaciens, infirmiers, chimistes, internes, physiciens) se sont portés volontaires. Pendant deux mois ils ont mené des actions pédagogiques auprès de notre communauté en France à travers des émissions radios et vidéos, des appels téléphoniques auprès de la population. Aujourd'hui ce groupe se constitue en association des scientifiques et médecins.

Le deuxième volet repose sur la distribution de colis alimentaires : nous avons lancé un appel au sein de notre communauté pour le financement et avons collecté ainsi quelques quatre mille euros. Sur cette base, les comités créés dans toute l’île de France ont pu acheter des denrées et assurer des distributions hebdomadaires. Deux cents familles ont pu, selon notre décompte, en bénéficier.

Ceci nous a permis une cartographie de la communauté ghanéenne : les étudiants, les sans-papiers, les plus démunis etc.

La crise Covid19 nous a toutefois conforté dans nos solidarités et nous a aussi donné plus de visibilité auprès l'ambassade du Ghana en France.

Chronique rédigée par Mike Attah, Administrateur du Collectif des Associations Ghanéennes de France (CAGEF)

Comité de rédaction : Chadia Arab, Benoit Mayaux, Jacques Ould Aoudia, Patrick Rakotomalala

Mise en forme et communication : Randa Chekroun, Pierangela Fontana

Les propos contenus dans la présente publication n’engagent que leurs auteur.e.s 

Le Grand Débat, émission sur Africa Radio avec Francis Laloupo

Le FORIM était invité mardi 9 juin au Grand Débat d’Africa Radio, pour une émission entièrement dédiée aux actions des associations de la diaspora face à la crise sanitaire.

Le Président Mackendie Toupuissant,  avec Aboubakar Lalo, Vice-président du Conif (Conseil des Nigériens de France), et Fatoumata Fadiga, Vice-présidente de l’association Enfants Mundo ont expliqué comment les OSIM se mobilisent depuis plusieurs semaines, notamment en France, pour mener des actions spécifiques en faveur des populations immigrées vulnérables dans cette période de pandémie.

Le FORIM, tête de réseau de plus que 1000 associations de migrants, a très tôt choisi de mettre la lutte contre la Covid-19 au centre de son agenda, en «initiant des activités et des outils adaptés pour lutter contre cette pandémie» aussi bien en France que dans les pays d’origine des migrant.e.s.

Contacts presse :

Pierangela Fontana, Chargée de communication

pfontana@forim.net

I. HAÏTI EN QUELQUES CHIFFRES

Nom officiel : Haïti, indépendante 1er Janvier 1804 suite à la victoire militaire des anciens esclaves face à l’armée de Napoléon le 18 Novembre 1803 (Bataille de Vertières). Située dans la Caraïbe, Haïti fait partie de Grandes Antilles occupant le tiers occidental de l’île, les deux tiers orientaux étant occupés par la République Dominicaine, indépendante d’Haïti en 1844.

Population : 10 981 000 habitants (Banque mondiale, 2017)
Densité : 398 habitants/ km² (Banque mondiale, 2017)
Croissance démographique : 1,22 % (Banque mondiale, 2017)
Espérance de vie : 63,3 ans (Banque mondiale, 2016)
Taux d’alphabétisation : 48,68 % (PNUD, 2005-2013)
Religion (s) : vaudou et 55 % catholiques, plus de 40 % protestants
Indice de développement humain : 0,498 - 168e (sur 189 pays, source PNUD rapport 2018)

Superficie : 27 560 km² (Banque mondiale)
Capitale : Port-au-Prince
Langue (s) officielle (s) : le créole et le français
Monnaie : la gourde haïtienne (HTG)

LE CORONA VIRUS ET LES MENACES DE FAMINE EN HAÏTI

Les défis structurels d’Haïti sont connus et soulignés par plusieurs publications. On y lit : « Haïti est le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental, avec un produit intérieur brut (PIB) par habitant de 756 $ en 2019 et un indice de développement humain le classant 169 sur 189 pays en 2019. Selon l’indice de capital humain, un enfant né aujourd'hui en Haïti a un potentiel à l’âge adulte évalué à 45% de ce qu’il aurait pu avoir s’il avait bénéficié d’une éducation et d’une santé complètes. La dernière enquête sur la pauvreté (2012) informe que plus de 6 millions d’Haïtiens vivent en-dessous du seuil de pauvreté avec moins de 2.41 $ par jour, et plus de 2.5 millions sont tombés en-dessous du seuil de pauvreté extrême, ayant moins de 1.23 $ par jour. » (Banque Mondiale, 11 Mai 2020, banquemondiale.org)

Il faudrait ajouter à ce triste tableau la dégradation de l’investissement expliquée par le niveau élevé des risques. Une violence endémique des groupes armés, notamment autour de la capitale est entretenue par des factions politiques qui terrorisent les populations. Le niveau d’insatisfaction des populations déçues des promesses des dirigeants a entrainé un mouvement de contestation amorcé en 2019 appelé « peyilok » (lock out) caractérisé par la fermeture de nombreuses entreprises, la paralysie des activités commerciales et de l’économie informelle. En conséquence, le PIB s'est contracté de 0,9% en 2019 ; le pays fait aussi face à une dépréciation monétaire rapide (près de 25 % par an), des taux d’inflation élevés (près de 20%). L’administration discréditée montre son incapacité à collecter les recettes. Malgré cette difficulté, le gouvernement subventionne les produits énergétiques estimés à 6.5% du PIB en 2019, un lourd fardeau budgétaire.

Haïti sort à peine des effets désastreux du cyclone Matthew estimés à 32% du PIB de 2016, notamment dans la Grande Anse. Sur quel levier l’économie haïtienne aurait-elle pu s’appuyer pour répondre à ces défis ? Le tourisme ? Mais les visiteurs sont de moins en moins intéressés en raison de l’image négative d’Haïti à l’extérieur. Le cholera y a contribué pour partie. La dépendance d’Haïti vis-à-vis de l’ONU, renforcée par l’état de la corruption ne tend pas à diffuser les élans locaux porteurs d’espérances. Et l’agriculture ? Elle est mise à genoux par les effets de la politique de libéralisation économique engagée depuis les années 80. Le non-soutien aux agriculteurs dépourvus de moyens financiers, technologiques, matériels, considérés comme étant les producteurs pauvres, se traduit par la dépendance d’Haïti envers l’importation de produits soit de la République Dominicaine, soit des Etats-Unis d’Amérique. 852 millions de dollars d’exportation pour la République Dominicaine contre 36 millions pour Haïti. (www.loophaiti.com) L’agriculture s’accompagne également de la migration massive vers la République Dominicaine et vers les sites d’accueil nouveaux tels le Chili, le Brésil, le Mexique. La majorité de la population dont plus de la moitié est âgée de moins de 21 ans se trouve forcée de fuir la misère. La Covid-19 ajoute à cette situation : la situation alimentaire se dégrade et les risques de famine sont une source d’inquiétudes supplémentaires.

Selon la Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire (CNSA), 40% de la population est aujourd’hui en insécurité alimentaire. « Le coût nominal moyen du panier alimentaire, en mars 2020 se situe autour de 1,960 gourdes par personne par mois avec une hausse de 25% en rythme annuel » selon les données fournies par la CNSA dans son bulletin d’avril 2020. Un ménage de 5 personnes en Haïti aurait besoin en moyenne de 11,006 gourdes pour accéder aux aliments de base.

LES ATTITUDES AMBIVALENTES DES POPULATIONS HAITIENNES FACE AU COVID 19

Les Haïtiens ont une relation ambivalente à la pandémie du covid-19. Reconnaissant au gouvernement sa capacité imaginative, ils sont nombreux à le soupçonner d’avoir inventé la Covid-19 comme source de prédation des ressources au profit d’une clientèle. Ils s’en prennent, dans certains quartiers, à des agents de la santé publique venus installer des centres de traitement du covid-19. Ils menacent de lyncher toute personne qui serait contaminée. Malgré la campagne de sensibilisation engagée par de nombreux acteurs (société civile, autorités publiques, fondations, autorités religieuses.), les populations haïtiennes se montrent incrédules, n’hésitant pas à châtier leurs compatriotes contaminés). Cette peur d’être accusée d’avoir instillé le mal a nui à l’identification des individus contaminés. Qu’est ce qui explique cette méfiance des populations ?

La première remonte aux faiblesses congénitales de la présidence actuelle. Doté d’une faible légitimité issue de la distance prise par les Haïtiens avec la politique, le président haïtien Jovenel Moïse n’a pu redonner confiance aux Haïtiens qui ont cru à ses promesses de transformer leurs conditions de vie par une politique incitative de création d’emplois et de relance des investissements. La deuxième raison de la méfiance est la tergiversation du pouvoir depuis les trois années de son règne, sans réponse face aux défis des populations : jugement des  ministres, présidents de la République et premiers ministres soupçonnés de détournement des fonds de Petro Caribe, (un fonds estimé à 3.8 milliards de dollars dans le cadre d’un accord avec le Venezuela de 2006 à 2017), mise en œuvre d’une politique qui prenne en compte les souffrances physiques et cognitives des populations, rupture avec la politique de captation des ressources de l’Etat en faveur d’une tribu aux pratiques mafieuses.

La troisième raison de la méfiance des populations : c’est l’importance désormais accordée à la santé chez les Haïtiens. Ils pointent du doigt le gaspillage et les mauvais choix qui ont guidé les différents gouvernements de 2006 à 2016, bénéficiaires de la manne pétrolière du Venezuela. Pour les Haïtiens, celle-ci aurait pu être mobilisée à la construction de centres hospitaliers modernes qui auraient pu faire face avec efficacité au covid-19. Cette absence de politique publique en matière de santé n’est pas étrangère aux attitudes des élites dirigeantes haïtiennes. En l’absence d’une politique sociale née de la loi du 10 octobre 1949 sur la sécurité sociale, le filet de protection sociale n’est pas garanti à tous les Haïtiens. Ainsi, les Haïtiens ne seraient plus des citoyens égaux. Ils seraient plutôt insérés dans un ordre social deshumanisant qui intègre l’indécence de la misère à une politique insolente du mépris. Et pour preuve : malgré les mesures barrières, les Haïtiens se sont inscrits en grand nombre à l’Office National d’Identification en vue d’obtenir leur carte électorale.

L’auto-protection et le recours aux solutions locales 

Ce sont ces défaillances qui sans doute motivent les populations haïtiennes à s’auto-protéger. Elles se fabriquent leurs propres masques, installent des seaux d’eau javellisés à l’entrée de leur domicile (alors que l’accès à l’eau est couteux), revisitent les pratiques de solidarité communautaire, pour celles qui croient dans le caractère réel de la pandémie. De plus, elles souhaitent elles-mêmes définir leur propre médication, avant même la demande exprimée par le président haïtien à son homologue malgache (tisanes d’armoise, de gingembre, d’aloe vera, d’oignons, d’ail, de rhum…) posant par hypothèse que l’épidémie qui les terrasse est d’origine extérieure ; par conséquent, elle est objet d’un traitement spécifique à l’histoire politique d’Haïti forgée dans les fers de l’esclavage.

Deux épidémies ont marqué les Haïtiens récemment et les ont portés à considérer leurs origines extérieures dans une relation de reproduction de l’humiliation : le VIH sida et le choléra. Les victimes en ont subi le même traitement que celles qui sont contaminées du covid-19 : le mépris, la stigmatisation. La crise sanitaire qu’a connue Haïti dans la période contemporaine-antérieure au covid-19 est le résultat des initiatives rachitiques qui contrastent avec les besoins des populations en matière de santé.

LA GESTION DE LA CRISE SANITAIRE EN HAÏTI

La crise sanitaire du Covid-19, annonciatrice de profonds bouleversements s’accompagne d’un malaise qui alimente les hypothèses les plus alarmistes sur le projet d’un monde amputé de ses objets embarrassants : des Indiens exterminés par l’aventure de Christophe Colomb, des Noirs d’Afrique projetés sur des territoires d’Haïti jusque-là ignorés, des migrants haïtiens refoulés des Etats-Unis (61 le 7 avril 2020, 50 le 14 mai 2020). Cette description rappelle l’ordre actuel de la séparation, de la distinction. Plus que la distinction, c’est plutôt l’ère de la survie. Survivre à la pandémie du covid-19 est une urgence de l’instinct. Mais la survie ne va pas sans réfléchir à la faiblesse et à la qualité des structures de santé d’Haïti qui rend compte du modèle de société : ni un Etat minimal limité à la protection contre le vol, l’escroquerie et la violence, ni un Etat-providence protecteur des droits sociaux et du bien-être collectif. Ainsi, la Covid-19 est révélateur du niveau d’incapacité de l’Etat haïtien à répondre aux défis de la crise sanitaire : distribution et disponibilité de l’eau aux populations, distribution de savon ou de gel hydro alcoolique et de masques, adoption de mesures-barrières, mesures de confinement, état d’urgence sanitaire…

Faute de se montrer à la hauteur des enjeux, le pouvoir de Port-au-Prince s’inspire des mesures envisagées en Occident. Leur irréalisme saute aux yeux comme si Haïti dispose autant d’atouts que les sociétés occidentales. Mais cette tentation ne vise qu’à noyer le poisson, qu’à cacher les incompétences, les irresponsabilités, les défaillances, l’impéritie haïtiennes. (Voir encadré de l’évolution du covid-19 en Haïti).

Les mesures préventives envisagées par le gouvernement n’ont pas été suivies par les populations. Au cours de la phase 2 ainsi appelée par les autorités gouvernementales, des recommandations adressées aux Haïtiens de rester chez eux, de limiter leurs déplacements n’ont pas été respectées. La mise en quarantaine des individus provenant des zones à risque, l’affluence des passagers dans les transports publics, le non-respect du confinement pour des raisons de survie… rendent compte d’un déficit d’adaptation à la réalité locale. Les promesses du gouvernement d’assurer la prise en charge salariale de 60.000 ouvriers des usines de la sous-traitance, du personnel médical, de 100.000 professeurs, d’allouer 27 dollars américains aux familles les plus vulnérables, de distribuer massivement des masques… ne sont pas encore traduites dans les faits. Il est vrai, quelques familles ont reçu un kit contenant 10kg de riz, 2 sachets de spaghettis, 2 boites de saumon, 2 sachets de pain dans les quartiers de Tabarre, de Delmas.

Quant à l’évolution de la pandémie, elle semble franchir un autre pas. Selon les derniers chiffres disponibles le 21 mai 2020, 600 cas de contamination du coronavirus étaient enregistrés. Les personnes testées positives sont au nombre 663, pour 22 décès enregistrés, 21 cas de guérison et 620 cas actifs. Mais où se faire soigner quand on est contaminé ? Il est difficile de répondre.

Ce qui suscite inquiétudes et angoisses c’est l’absence d’informations sur les lieux des centres de traitement du covid-19. Sans doute, cette information est-elle volontairement lacunaire. En effet, les populations locales s’opposent violemment à tout projet d’implantation des centres de traitement. Les campagnes de sensibilisation assez tonitruantes sur cette attitude démentielle et déraisonnable de certains individus n’y ont rien changé.

Par ailleurs, les numéros d’appel 2020 publiés par le Ministère de la Santé Publique, destinés aux contaminés du covid-19, sont sans réponse. En outre, on ne sait pas à quels établissements hospitaliers sont affectés les matériels commandés d’une valeur de 4.5 milliards de gourdes. Alors qu’ « Haïti dispose désormais, de 1.000 lits complets, 1.5 millions de masques chirurgicaux, 200 mille N95, plus de 249 mille lunettes de protection, 250 mille visières, 100 charriots pour les respirateurs et 100 respirateurs artificiels avec accessoires. »

RAPPEL DE LA CRONOLOGIE DE L’EPIDEMIE EN HAITI ET DES MESURES GOUVERNEMENTALES

12 mars 2020 : réalisation des tests de dépistage dans les aéroports selon le gouvernement. Aucun cas de covid-19 en Haïti.

13 mars 2020 : mise en place d’une task force en prévention de la pandémie.

17 mars 2020 : mise en place d’un centre d’informations permanentes sur le Corona virus.

18 Mars 2020 : fermeture des usines de sous-traitance, des centres de formation professionnelle, des universités. Un cas de suspect mais non confirmé. Des individus armés de machettes tentent de lyncher l'enseignant de l'Université Henry Christophe, suspecté d’être contaminé. Mise en quarantaine d’une soixantaine de personnes qui étaient en contact avec le suspect.

Couvre-feu applicable sur le territoire national entre 20h et 5h. Conseil des Ministres spécial sur le traitement du covid-19. Formation d’un Comité scientifique chargé d’éclairer les décisions du gouvernement

Annonce gouvernementale portant sur la livraison des masques, des gants, des médicaments, des solutés et autres fournitures médicales nécessaires ; sur la mise en quarantaine des individus provenant des zones à risques.

19 mars 2020 : Etat d’urgence sanitaire.

22 mars 2020 : 6 cas de COVID-19 confirmés. 4 nouveaux cas ont été confirmés le 21 mars après les tests du laboratoire nationale sur les cas suspects.

23 mars 2020 : publication des mesures barrières à respecter.

25 mars 2020 : interdiction d'atterrissage des vols en provenance des zones rouges et affectées, à l'exception des États-Unis et Cuba, fermeture de la frontière terrestre d'Haïti avec la République Dominicaine

27 Mars 2020 : prolongation d’un délai de 3 mois accordé aux entreprises de s’acquitter de leurs redevances fiscales.

30 mars 2020 : la COVID-19 présente dans 4 départements. Les Haïtiens boudent les mesures-barrières, les principes d’hygiène et de distanciation sociale et ne limitent pas leurs déplacements.

Le gouvernement a sollicité un don d'un million de masques des entreprises haïtiennes. De plus une commande de 10 millions de masques est prévue. Quatre entreprises haïtiennes ont repris partiellement leurs activités en vue de production de masques.  Trois autres usines pour la production d'autres matériels médicaux dont des blouses pour le personnel médical. Le chef du gouvernement a expliqué que ces masques seront distribués gratuitement par l'intermédiaire des municipalités, des collectivités territoriales et d'autres entités de l'État.

Promesse du président de la République de distribuer des rations alimentaires pour I million de familles sous contrôle du Commissaire du gouvernement à Delmas et à Tabarre. Et promesse de prise en charge salariale de 60.000 ouvriers de la sous-traitance, du personnel médical, de 100.000 enseignants, professeurs d’Universités.

2 Avril 2020 : Les laboratoires Pharmatrix et 4C produisent de la chloroquine en sirop et en comprimé pour le gouvernement « qui les distribue au système sanitaire. »

7 avril 2020 : Une nouvelle commission dite multisectorielle de gestion de la pandémie du Covid-19 a été installée par le Président Jovenel Moïse.

9 avril 2020 : En une semaine Haïti est passé de 16 à 30 cas confirmés de covid-19. Hausse également des décès avec 2 morts. 68 personnes sont en quarantaine hospitalière et 664 à domicile.

16 avril 2020 : Le gouvernement autorise la reprise des activités des entreprises du secteur des textiles. Plus de 58 000 ouvriers notamment à la Sonapi, à Codevi et à Caracol sont concernés par cette reprise

17 avril 2020 : 108 détenus ont été libérés dans le cadre des dispositions spéciales liées à la crise du corona virus. Le chef du parquet de Port-au-Prince assure qu'aucun « bandit » accusé d'implication dans des crimes, assassinats, kidnappings et viols n'ont bénéficié de ces dispositions.

20 avril 2020 : Etat d’urgence sanitaire prorogé. Couvre-feu instauré.

23 avril 2020 : Le chargé d'Affaires de l'Ambassade de la République de Chine (Taïwan) en Haïti, M. Chi-Chih Shin, a fait un don de 7 caméras thermiques et d'un lot de 100 000 masques dans le cadre de la lutte contre le coronavirus en Haïti.

27 avril 2020 : don de 75.500.000 dollars américains du gouvernement américain à Haïti. Par le biais de l'USAID, le peuple américain fournit également 13,2 millions de dollars supplémentaires pour soutenir les efforts haïtiens de communication sur les risques du COVID-19, l'amélioration de l'eau et de l'assainissement, la prévention des infections, la gestion des cas, entre autres.

19 mai 2020 : Deux mois après le début de la pandémie, le nombre de cas confirmés de corona virus a déjà franchi la barre symbolique des 500. Le département de l'ouest, qui concentre plus de 80% de l'activité financière, est l'épicentre de la pandémie. L'Ouest compte 396 personnes infectées et 12 décès.12 communes sur 20 comptent au moins 1 cas de contamination. La capitale Port-au-Prince, arrive en tête avec 109 personnes infectées et 3 décès, suivie de Delmas 102 personnes infectées et 2 décès, Pétion ville 87 personnes infectées et 1 décès, Tabarre et Croix des Bouquets avec 30 personnes infectées chacun et 2 décès pour Croix des Bouquets.

21 mai 2020 : publication du décret présidentiel fixant les règles générales de protection de la population. Article 13.- « Toutes formes de stigmatisation et de discrimination sont interdites sous peine des sanctions prévues par la loi. » Article 8 «Le port du masque de protection ou d'un équipement de protection individuelle… est obligatoire pour toute personne se trouvant ou circulant sur la voie publique, sous peine de trois mille (3,000.00) gourdes d'amende, de cinq (5) jours d'emprisonnement ou de quinze (15) jours de travail d'intérêt général à déterminer par le Conseil Municipal »Article 5.- Le conducteur est autorisé à refuser l'accès du véhicule ou du matériel de transport à toute personne qui refuse de porter un masque de protection ou un équipement de protection individuelle protégeant au moins la bouche et le nez ou qui ne se conforme pas aux autres mesures de lutte contre la pandémie / épidémie adoptées par Arrêté pris en Conseil des Ministres. »

QUELS APPORTS DE LA DIASPORA DE FRANCE AUX POPULATIONS EN HAITI ?

Séances de formation aux précautions à appliquer et à la bonne utilisation du port des masques à divers groupements d'agriculteurs/trices, de marchand.e.s et d'habitant.e.s de sections communales de Fort Ogé, Calvacher, Orangers, Berry..

L’association Rêvons Pour Haïti, membre de la PAFHA, s’est engagée auprès des acteurs locaux par les actions suivantes :

- Campagne de sensibilisation pour application des gestes barrières

- Décontamination de l’eau pour favoriser le lavage des mains (Gardien dlo).

- Fabrication et distribution des masques dans différents centres de santé à Leogane.


QUELLE SITUATION POUR LA COMMUNAUTE HAITIENNE DE FRANCE ?

La communauté haïtienne de France a été frappée par le deuil. On dénombre plus d’une centaine de victime du coronavirus dont l’âge se situe entre 50 et 80 ans appartenant aux communautés évangéliques, les taxis, les entrepreneurs…

Venir en aide à la communauté haïtienne de France 

Pour faire face à la situation de crise créée par la covid-19, la PAFHA (Plateforme d’Associations Franco-Haïtiennes), ses associations membres, ses partenaires et les églises de la communauté haïtienne de France ont mis en place les dispositifs suivants :

« Vous souhaitez nous aider !

Participer à notre action en venant déposer conserves, riz, pâtes dans notre boite à donations. »



HAITI ET L’AIDE INTERNATIONALE

Madagascar va envoyer le Covid-Organics en Haïti pour lutter contre le coronavirus

La Covid-19 rapproche Haïti et Madagascar. Dans une vidéoconférence, les présidents haïtien Jovenel Moïse et malgache Andry Rajoelina se sont mis d’accord sur l’envoi en Haïti d’un stock du médicament baptisé Covid-Organics utilisé à Madagascar dans la lutte contre le coronavirus. Les scientifiques des deux pays vont aussi travailler ensemble à approfondir les recherches sur la pandémie.

Aide apportée par la Banque mondiale

La Banque mondiale se tient prête à soutenir ses partenaires en Haïti au cours de ce moment difficile. Un projet de réponse rapide au COVID-19 d’un montant de 20 millions de dollars a déjà été approuvé pour Haïti. En plus du financement d'urgence au secteur santé, un soutien est fourni à d'autres secteurs critiques en reprogrammant les ressources existantes, notamment dans l'agriculture, l'éducation, l'eau et l'assainissement. À l’avenir, la Banque mondiale envisage également d’autres initiatives pour soutenir les efforts du pays en faveur de la reprise économique, de la résilience et de la protection de la population vulnérable. https://www.banquemondiale.org/fr/who-we-are/news/coronavirus-covid19

Le FMI approuve une aide de 111,6 millions de dollars en faveur de Haïti

Le Fonds monétaire international (FMI) a annoncé vendredi le versement d'une aide d'urgence de 111,6 millions de dollars en faveur de Haïti pour lutter contre la pandémie de coronavirus. « Le soutien financier du FMI fournit des ressources aux autorités pour les dépenses essentielles de santé et le soutien des revenus pour atténuer l'impact de Covid-19 sur la population », indique l'institution dans un communiqué.

ENTRETIEN AVEC Dr. FLORIS NESI,
Médecin MD Obstétricien-Gynécologue
Médecin attaché à l’Hôpital Universitaire de la Paix / MSPP Haïti
Port-au-Prince. HAÏTI

Dans quel état se trouvent les hôpitaux aujourd’hui ? Sont-ils en état d’accueil des contaminés de la Covid19 ?

Haïti partageant l’ile d’Hispaniola avec la République Dominicaine compte de 12 millions habitants sur une superficie de 27.000km carrés. Elle dispose d’un faible système sanitaire qui ne peut pas répondre aux besoins exprimés par la population. Le Ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP) divise le pays en 10 régions sanitaires. Chacun des départements est constitué de centres communautaires de santé (CCS) communément appelés dispensaires, de centres de santé, d’hôpitaux communautaires de référence coiffés par l’Unité d’Arrondissement de Sante (UAS), d’hôpital départemental et d’hôpitaux Universitaires. Avec un ratio d’un médecin pour 10,000 habitants et un budget national de 7,1%, le MSPP n’arrive pas à couvrir les besoins en santé de la population. La plupart des structures sanitaires du pays sont supportées par les Organisations Non Gouvernementales (ONG) qui travaillent dans le leadership, la gouvernance, le suivi et évaluation, la dotation en intrants et matériels et l’offre des soins.

L’apparition de la Covid-19 vient mettre à genoux un système déjà fragile qui n’arrive pas encore à offrir la santé primaire aux Haïtiens. Dépourvues de matériels et équipements et de plateau technique qualifié, les structures sanitaires du pays confrontent de sérieuses difficultés à assurer la prise en charge des patients atteints de corona virus. Le pays ne dispose que 60 ventilateurs et d’une cinquantaine de médecins anesthésistes -réanimateurs dont 85% travaillent à la Capitale. Haïti aura besoin de 7.000 lits pour soigner ces patients contaminés alors qu’elle ne dispose que de 125 lits capables de répondre aux principes de soins intensifs. Très peu de professionnels sont formés sur la prise en charge des complications majeures liées à la Covid19.

Comment la gestion de la pandémie est-elle assurée par les médecins ?

Compte tenu du faible investissement dans le secteur de la santé en Haïti, la grande majorité des hôpitaux du pays ne disposent pas de plateau technique suffisant et bien entrainé pour assurer la prise en charge des patients atteints de Covid 19. Sur la liste de 42 structures sanitaires présentées par le MSPP devant recevoir ces derniers, seulement 5 d’entre elles peuvent offrir ces services. Les cas suspects ou contaminés ont été transférés dans ces centres sanitaires où ils assurent leur traitement à travers le Centre Ambulancier National (CAN), la seule structure du MSPP devant assurer le transport des malades vers ces hôpitaux spécialisés. Pour cela, le MSPP a établi un protocole national de traitement qui se modifie avec le temps, étant donné que la Covid-19 est une pathologie émergente.

Comment les populations font-elles face aux défis de la pandémie ?

Cette pathologie a été mal accueillie par les collectivités haïtiennes qui affichent un certain refus d’appliquer les principes de prévention prônés par le gouvernement. Les mesures barrières sont loin d’être appliquées dans toutes les couches sociales du pays. Ce refus s’explique par l’origine ancestrale de rejeter tout ce qui vient de l’étranger colonisateur et par le manque de crédibilité des acteurs politiques au pouvoir qui souffrent de ce déficit de confiance des mandants. Les populations s’opposent de manière violente à la mise en place des structures Covid 19 pour les soigner. Parallèlement, elles ont recours à la médecine traditionnelle très prisée par l’emploi abusif et incontrôlé des feuilles en potions pour éviter d’éventuelles complications liées à cette pandémie.

Dr. Floris NESI, Médecin MD Obstétricien-Gynécologue, Médecin attaché à l’Hôpital Universitaire de la Paix / MSPP Haïti - Port-au-Prince. HAÏTI, Le 25 Mai 2020

(Dr. Floris NESI vit et travaille en Haïti).

Propos recueillis par Nikie ANDRE.

Chronique rédigée par : Jacques NESI, administrateur de la PAFHA (Plateforme d’Associations Franco-Haïtiennes) avec la collaboration de  Mackendie TOUPUISSANT et Esther SAINT-VILLE

Comité de rédaction : Chadia Arab, Benoit Mayaux, Jacques Ould Aoudia, Patrick Rakotomalala

Mise en forme et communication : Randa Chekroun, Pierangela Fontana

Les propos contenus dans la présente publication n’engagent que leurs auteur.e.s 

Photo by Colin D on Unsplash

Par Mike Attah, administrateur du CAGEF et du FORIM

LES SOLDATS DE LA GUERRE CONTRE LE COVID-19 SONT PRINCIPALEMENT DES FEMMES.

Plusieurs guerres ont été menées et écrites dans l'histoire humaine de l'Antiquité en passant par l’époque médiévale et moderne.

Les caractéristiques sont toujours les mêmes : violence extrême, destruction extrême, chaos et mort. Surtout, les forces militaires étaient principalement des hommes.

Je me souviens avoir écouté des histoires d'horreur sur les champs de bataille de Wofa Yaw Asumadu et Wofa Kwame Oti, mes deux oncles maternels qui avaient combattu en Birmanie, aujourd'hui Myanmar, aux côtés des Britanniques pendant la Seconde Guerre mondiale.

Yaw Asumadu est décédé à l'âge de 90 ans à Koforidua, tandis que son frère est décédé à Juaso dans la région d'Asante où il s'était retiré pour rejoindre notre famille.

Sans être sarcastique, j'ai eu le privilège de vivre la guerre civile au Libéria et les premiers jours de la guerre en Sierra Leone. Les hommes ont constitué le noyau principal de ces guerres.

Les soldats de la guerre contre l'actuel Covid-19 sont principalement des femmes. Elles représentent plus de 60% des effectifs de la recherche scientifique et sanitaire dans le monde : 87% des infirmières, 91% des aides-soignants à domicile, 73% des femmes de ménage, 76% des caissières et vendeuses et 60% des jeunes médecins sont des femmes (Statistiques françaises).

Bien que les femmes n’aient pas de munitions pour combattre, ce sont leurs compétences, leurs connaissances, leur approche intuitive naturelle pour résoudre les problèmes, des méthodes pragmatiques, le souci du détail, une compréhension des personnes et de l'empathie qui expliquent les succès qu'elles remportent dans le Covid 19.

L'histoire de la guerre contre le Covid-19 sera écrite un jour. L'histoire est toujours écrite par les conquérants. Les femmes sont les conquérantes de ladite guerre.

Elles doivent raconter leurs histoires et écrire leur histoire. Ce serait une façon de leur rendre hommage.

Nous ne devons pas laisser les Donald Trumps, Xi Jinpings, Boris Johnsons, Emmanuel Macron, Bolsanaros, écrivent cette histoire.

CETTE HISTOIRE DOIT ÊTRE RÉCITÉE PAR LES CONQUÉRANTES - Les Femmes.

Nana Attah, Paris.

Le monde est confronté depuis le mois de mars (et bien avant en Chine) à un défi sanitaire de grande ampleur, jamais vu depuis plus de 100 ans. Cette pandémie appelée CoronaVirus ou CoVid 19 à forte contagiosité compromet, en raison de sa rapide diffusion, la vie économique et sociale de la planète.

L’Afrique, continent à propos duquel les Cassandre ont de manière précoce prédit le pire, en particulier celui d’une explosion sanitaire finalement jamais arrivée, doit faire face à une chute des exportations et à un ralentissement des importations qui fait craindre une paupérisation d’une population déjà fragilisée par une insécurité alimentaire chronique (qui toucherait au Sahel plus de 11 millions de personnes), par des conflits et des maladies orphelines. Ces pays, malgré les préjugés, ont actionné très tôt les leviers d’une stabilisation avec des mesures contraignantes qui ont porté des résultats… Pour le moment…

I. Une population jeune face à de multiples défis :

Le Niger, vaste pays enclavé d’une superficie de 1 267 000 km2 est circonscrit dans l’ensemble géographique sahélo-saharien à cheval entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne.

Le Niger compte à ce jour une population de 23 millions d’habitants, population essentiellement rurale (à plus de 80 %). Mais elle est surtout caractérisée par son extrême jeunesse due à sa croissance démographique, la plus forte au monde : selon la concordance des statistiques compilées, le Niger détient le « record mondial » avec environ 50 % de la population à moins de 15 ans (et 20 % a moins de 5 ans) ; la jeunesse de cette population se justifie par un accroissement démographique de 3,8 % sous-tendu par un indice synthétique de fécondité de 6,8 enfants par femme en 2019 []. Les prévisions tablent sur une envolée des chiffres de la population passant de 23 millions à 30 millions dans 10 ans, pour atteindre 70 millions en 2050.

Pauvreté et insécurité alimentaire

Le Niger subit depuis de longues années une irrégularité pluviométrique qui induit une disponibilité insuffisante en produits agricoles de base : la faiblesse des pluies dans le temps et dans l’espace, alliée à la dégradation de l’environnement due à l’avancée du Sahara influent sur le sort de presque 80% de la population (sur seulement 11% des terres arables) de ce secteur primaire, représentant malgré tout plus de 40% du PIB. D’ailleurs toute l’histoire du Sahel, depuis le XVIIème siècle (voire au-delà) n’est qu’une succession de sècheresses et de famines occasionnant des pertes en vies humaines et animales ainsi qu’un déplacement massif des populations vers les zones les plus clémentes : l’une des famines les plus emblématiques survenue au début des années 70 a donné lieu à un élan de solidarité internationale avec une certaine médiatisation de la situation qui dans l’inconscient collectif renvoie le Sahel à la famine et à la sècheresse.

De ce fait, la pression démographique particulièrement élevée engendrant une pression foncière et l’amenuisement des ressources naturelles est un point d’achoppement quant à l’objectif affiché de l’autosuffisance alimentaire. Au cours de l’an 2020, plus de 2 millions de personnes pourraient être affectées par une insécurité alimentaire sévère, selon le premier ministre nigérien, aux termes d’une campagne d’évaluation de la sécurité alimentaire dans la partie septentrionale : 6 des 8 régions du Niger sont marquées par la mauvaise production agricole, des inondations et une production fourragère insuffisante dans les zones pastorales.

Avec 41% de la population vivant au-dessus du seuil de pauvreté, le Niger est l’un des pays qui se débat dans les tréfonds du classement IDH des pays les plus pauvres de la planète, abonné aux dernières places. Cette situation en trompe-l’œil ne doit pas occulter les constantes démographiques dans un pays qui a fait d’énormes progrès dans la transition démographique et dans la lutte pour la réduction de la pauvreté, laquelle était de 54% en 2005. En plus, le taux de croissance de 6,4% en 2019, supporté essentiellement par le secteur rural, permet de maintenir les leviers économiques à flot malgré la réduction des retombées financières générées par le pétrole et l’uranium. Ces deux ressources minières (auxquelles il faudrait ajouter l’or, le charbon, la cassitérite, le gypse) - qui sont contrôlées, l’une, par la Chine, qui exploite en plus une raffinerie à Zinder et, l’autre, par la France (avec Orano ex-Areva) - pèsent dans la balance commerciale. Mais la baisse des cours de l’uranium nigérien (qui ravitaille près de 40% des centrales nucléaires françaises) porte un coup au programme de développement du pays.

II. Etat des lieux de la pandémie au Niger

Le spectre de la pandémie s’est tardivement mais progressivement installée au Niger comme dans tous les pays africains. Les pouvoirs publics ont vite anticipé la catastrophe tant annoncée sur le continent en prenant des mesures préventives.  Le patient 0 a été rapidement identifié et pris en charge au Niger : il est présenté comme étant un passager d’un bus qui revenait de Ouagadougou le19 mars soit 9 jours après la déclaration de plusieurs cas au Burkina. Ce pays est vite devenu un foyer inquiétant de la pandémie en Afrique de l’ouest en raison de l’arrivée de ses compatriotes d’Europe et d’Asie.

⦁ Appréhensions vis-à-vis de la pandémie
Les premières semaines de la déclaration des cas en Chine et en Europe ont été attentivement suivies sur les réseaux sociaux au Niger mais accueillies avec scepticisme : les Nigériens, comme ailleurs, ont développé une incrédulité et une défiance d’une pandémie considérée déjà comme une « maladie des Blancs ». Même les premiers cas n’ont pas convaincu les Nigériens de l’acuité de cette pandémie mêlant théories du complot et nihilisme : pour beaucoup, la maladie n’existe pas, c’est un complot de l’Occident pour piller nos ressources, ou pire Bill Gates via sa fondation veut massacrer les Africains avec un vaccin ou veut s’enrichir en finançant un remède… Une flopée de fake news sont relayées par WhatsApp sur la base de sources douteuses ou non signées.A titre d’exemple, lors d’une interview le docteur vétérinaire Z. Maïga, à l’instar de certains leaders d’opinion, après avoir fait un historique du virus avec une première mutation pour donner le SRAS (sic), puis le  MERS (re-sic), décrétait de manière abrupte «au-delà de 20°C, il [le virus] dégage, il est mort ! » C’est le genre de parole qui porte dans un pays qui enregistrait à l’époque des pics de température de 35-40°C.

Le facteur religieux :

L’irruption de la pandémie au Niger à partir du 19 mars, n’a pas refréné les habitudes religieuses des Nigériens en termes de participation aux prières collectives. L’imaginaire collectif du croyant veut qu’on ne peut combattre une pandémie qu’avec des invocations en groupe, malgré les mises en garde de certains imams qui se réfèrent aux textes canoniques en période de trouble ou de maladie. La fermeture des mosquées ordonnée à partir du 19 mars par le gouvernement a provoqué des manifestations de rue à Niamey, Zinder, Mirriah de la part de croyants qui voulaient la réouverture immédiate des mosquées et l’autorisation de la prière collective du vendredi. Cette situation a occasionné par contre l’indignation de beaucoup de Nigériens qui craignent la diffusion rapide du virus en raison de la non-observance des mesures-barrières.

III. Evolution de la pandémie

Les premières mesures gouvernementales :

Le Niger a pris d’importantes mesures conservatoires et de prévention avant la déclaration officielle du premier cas. Ainsi, dès le 19 mars, le Président de la République a dans un premier message tant attendu à la Nation, fixé le cap avec des mesures sociales et pratiques afin de contrecarrer le développement des foyers pandémiques : fermeture de l’espace aérien, des écoles, des mosquées et d’autres lieux de rassemblement tout en rappelant les mesures-barrières et d’hygiène (voir tableau ci-après). Ces premières mesures qui seront suivies par d’autres, en raison de l’acuité de la pandémie et de l’urgence infrastructurelle, ont eu le mérite de réduire, dans un premier temps, le degré de propagation du virus avec une attention particulière portée sur le Burkina Faso voisin qui recense déjà ses premières victimes.

 Fermeture des aéroports internationaux de Niamey et de Zinder pour une durée de 2 semaines, renouvelable à compter du 19 mars 2020 à minuit sauf pour les vols domestiques, cargos, sanitaires, et militaires;
 Fermeture de toutes les frontières terrestres pour une durée de 2 semaines renouvelables à compter du 19 mars 2020 à minuit excepté pour le transport des marchandises ;
 Concertation entre le gouvernement et les leaders religieux (Oulémas et prêtres) afin d'arrêter les mesures relatives à l'accès aux lieux de culte.
 Fermeture de tous les établissements d’enseignement préscolaire, primaire, secondaire et supérieur pour une durée de 2 semaines renouvelable à compter du 20 mars 2020 à minuit; les parents sont chargés de la garde de leurs enfants.
 Fermeture des bars, des boites de nuit, salles de cinéma et des lieux de spectacle à compter du 18 mars 2020 à minuit ;
 Interdiction des rassemblements de plus de 50 personnes. Cette mesure concerne notamment : les baptêmes, les mariages et toute autre forme de cérémonie, sur toute l’étendue du territoire. En particulier, les ateliers et séminaires sont interdits jusqu' à nouvel ordre.
 Institution des mesures d’hygiène obligatoires dans les marchés, magasins, restaurants, services publics et privés ;
 Respect d’une distance d’au moins un mètre entre les personnes dans les grandes surfaces, les restaurants, les entreprises, les zones aéroportuaires et les lieux publics;
 Gratuité du diagnostic et de la prise en charge des éventuels cas confirmés.
 Révision du plan d'urgence pour tenir compte des nouvelles exigences, et allocation d'une somme d' 1 milliard de francs CFA sur le budget national pour son financement.

Evolution de la pandémie :
En dépit de ces premières mesures énergiques censées contenir la pandémie, la courbe du coronavirus poursuit une hausse exponentielle surtout à partir du 31 mars. Au départ les infections sont dues aux facteurs et individus exogènes entrés sur le territoire fin février et début mars surtout dans les deux principaux foyers de Niamey et Zinder. Ainsi, on dénombre à la date du 25 mai 2020 :


 

 

⦁ Le « cluster » de Niamey

Le « cluster » de Niamey La capitale a été la première zone touchée par la pandémie en raison de son cosmopolitisme, son activité aéroportuaire et de sa proximité avec le Burkina, considéré comme le principal foyer de l’Afrique de l’Ouest. La non-observance des mesures et gestes barrières ont favorisé, comme ailleurs au Niger, le développement de la pandémie : attitudes tactiles, rassemblements, manque d’eau ou de savons, absence de masques ou de qualité douteuse…

⦁ Le foyer de Zinder

La deuxième ville du Niger a connu par contre plus tardivement ses premiers patients bien après Dosso, Maradi. Zinder, un des centres religieux le plus important (siège d’un sultanat) a subi ses premières infections en raison des manquements de l’observation des mesures-barrières mais surtout de sa proximité avec le Nigeria. Fin avril-début plus de 23 000 personnes (talibés, villageois) sont refoulés ou volontairement refugiés au Niger (au sud de Zinder) en provenance de la mégapole nigériane de Kano qui commençait à recenser des « morts mystérieuses ». En outre, certains croyants ont peu apprécié les mesures de fermeture des mosquées déclenchant comme à Niamey ou à Mirriah (20 km de Zinder) des manifestations de mécontentements.

Au Niger, à la date de 24 mai 2020, Niamey, avec 54 cas positifs pour 100 000 habitants, reste la région la plus touchée par la pandémie, suivie d’Agadez (5 cas pour 100 000 habitants), de Zinder (2 cas pour 100 000 habitants), de Diffa et de Dosso, qui enregistrent environ un cas pour 100 000 habitants. En revanche, les régions de Tillaberi, de Maradi et de Tahoua sont les moins touchées, avec moins d’un cas pour 100 000 habitants. Le pic de la pandémie a été atteint le 12 avril avec 69 cas positifs dans la seule journée. D’après les données recueillies par le ministère de la santé et l’INS, les proportions des décès liés au Covid-19 concernent très souvent les personnes sujettes aux maladies chroniques, la pauvreté, la sous-alimentation, la peur d’attirer l’attention sur le coronavirus que d’aucuns considèrent comme une « affection honteuse », qu’il faut absolument cacher !

En outre, il y a une disproportion des décès par sexe où 67% sont des hommes (qui sont généralement au travail à l’extérieur) tandis que les femmes, probables victimes collatérales représentent 33%.
Mais d’une manière générale, depuis le premier cas le 19 mars, on note à partir de la mi-mai, une tendance à la baisse, mais surtout un taux de guérison de plus de 82%. Par contre, en dépit de l’amélioration continue du taux de guérison à la COVID-19, la létalité liée à ce virus reste relativement élevée. En effet, à l’échelle du continent africain, le Niger avec 6,5%, fait partie des pays enregistrant les plus forts taux de létalité (proportion des décès) à la COVID-19, à la date du 24 mai 2020. C’est pourquoi les pouvoirs publics incitent la population à plus de vigilance et au respect des mesures-barrières malgré les bons chiffres du R0 (coefficient de transmission) passés de 0,60 à 0,25, ce qui témoigne de l’évolution favorable de la pandémie.

Infrastructures de prise en charge sanitaire :
Malgré la pauvreté du pays, le Niger dispose d’un système de santé certes très insuffisant mais en avance sur beaucoup d’autres pays d’Afrique. Avec un fonctionnement pyramidal, ces structures publiques assurent la couverture sanitaire du pays. A celles-ci se s’ajoutent des formations privées constituées de cliniques, dispensaires et centres de soin… plus ou moins formelles.
Mais il a fallu parer au plus pressé avec l’apparition du coronavirus, puisqu’aucune structure n’est prévue pour ce genre d’affection contagieuse dans la prise en charge des patients. L’hôpital général de référence de Niamey (HGR), a été mis à contribution pour les premiers cas avérés. En province, ce sont les hôpitaux nationaux et les centres hospitaliers régionaux qui dépistent et traitent cette pathologie.

Infrastructures de prise en charge sanitaire :
Malgré la pauvreté du pays, le Niger dispose d’un système de santé certes très insuffisant mais en avance sur beaucoup d’autres pays d’Afrique. Avec un fonctionnement pyramidal, ces structures publiques assurent la couverture sanitaire du pays. A celles-ci se s’ajoutent des formations privées constituées de cliniques, dispensaires et centres de soin… plus ou moins formelles.
Mais il a fallu parer au plus pressé avec l’apparition du coronavirus, puisqu’aucune structure n’est prévue pour ce genre d’affection contagieuse dans la prise en charge des patients. L’hôpital général de référence de Niamey (HGR), a été mis à contribution pour les premiers cas avérés. En province, ce sont les hôpitaux nationaux et les centres hospitaliers régionaux qui dépistent et traitent cette pathologie.

IV. Les actions de la diaspora

La Diaspora à travers son instance représentative, le Conseil des Nigériens de France (CONIF) a très tôt pris la mesure de la singularité de la situation en publiant régulièrement des notes d’information sur la situation de ses compatriotes. Une attention particulière portait sur des franges de sa population les plus précaires ou fragiles (migrants, refugiés, étudiants ou familles monoparentales). Il s’agit de prendre régulièrement des nouvelles, conseiller, orienter, rassurer les personnes en souffrance ou non. Des contacts téléphoniques, réunions en téléconférence avec les concernés sont effectués pour faire le point avec ces catégories de population, ce qui lui permet de suivre et de communiquer sur l’évolution de la pandémie.

Par manque de moyens financiers conséquents pour porter secours et assistance éventuels, le CONIF en collaboration avec toutes les associations qui lui sont affiliées, réfléchit depuis un certain temps à la mise en place d’un « « Fonds de solidarité » pour parer aux questions d’urgence qui peuvent se poser à la communauté nigérienne. La survenue de la pandémie vient donner les arguments et la pertinence de la constitution d’un tel fonds.

En tout état de cause, le CONIF continuera sa politique d’informations et de conseils (et d’assistance si les conditions le permettent) et mettra à profit après normalisation de la situation lors de ses activités (comme la Journée Culturelle, la Journée de la Femme, Conifoot –barbecue/foot, Journée de l’étudiant…) pour porter les messages de rassemblement et de sensibilisation en période exceptionnelle comme celle-ci.
D’autres associations ou ONG nigériennes de France ont pu aussi, avec le soutien du CONIF, mener des opérations de distribution des kits anti-Covid ou de distribution de vivres, surtout en cette période avril-mai coïncidant avec le mois du ramadan au Niger.

Le Niger peut, avec le train de mesures annoncées par le gouvernement et le respect relatif des règles-barrières, aborder depuis le 20 mai avec sérénité mais prudence la décrue des cas de la pandémie. A l’inquiétude suscitée par la capacité d’accueil et de prise en charge sanitaire, le Niger a réussi pour le moment, à ne pas subir de débordements. Les autorités viennent d’ailleurs d’assouplir le couvre-feu à Niamey, et les règles de réouverture des lieux de culte, des lignes de transport terrestre.

Le Niger, ce pays aux multiples défis démographiques, écologiques, alimentaires, sécuritaires est en passe sûrement de gagner aussi le énième combat contre une pandémie qui a causé des milliers de victimes dans le monde.

Chronique rédigée par : Aboubakar LALO - Vice-président du Conseil des Nigériens de France (CONIF)

Comité de rédaction : Chadia Arab, Benoit Mayaux, Jacques Ould Aoudia, Patrick Rakotomalala

Mise en forme et communication : Randa Chekroun, Pierangela Fontana

Les propos contenus dans la présente publication n’engagent que leurs auteur.e.s 

Avec le soutien principal de l'Agence française de Développement

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