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ChroCo Vies N°7 : Le Niger et son défi contre le Covid-19

29 mai 2020

Le monde est confronté depuis le mois de mars (et bien avant en Chine) à un défi sanitaire de grande ampleur, jamais vu depuis plus de 100 ans. Cette pandémie appelée CoronaVirus ou CoVid 19 à forte contagiosité compromet, en raison de sa rapide diffusion, la vie économique et sociale de la planète.

L’Afrique, continent à propos duquel les Cassandre ont de manière précoce prédit le pire, en particulier celui d’une explosion sanitaire finalement jamais arrivée, doit faire face à une chute des exportations et à un ralentissement des importations qui fait craindre une paupérisation d’une population déjà fragilisée par une insécurité alimentaire chronique (qui toucherait au Sahel plus de 11 millions de personnes), par des conflits et des maladies orphelines. Ces pays, malgré les préjugés, ont actionné très tôt les leviers d’une stabilisation avec des mesures contraignantes qui ont porté des résultats… Pour le moment…

I. Une population jeune face à de multiples défis :

Le Niger, vaste pays enclavé d’une superficie de 1 267 000 km2 est circonscrit dans l’ensemble géographique sahélo-saharien à cheval entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne.

Le Niger compte à ce jour une population de 23 millions d’habitants, population essentiellement rurale (à plus de 80 %). Mais elle est surtout caractérisée par son extrême jeunesse due à sa croissance démographique, la plus forte au monde : selon la concordance des statistiques compilées, le Niger détient le « record mondial » avec environ 50 % de la population à moins de 15 ans (et 20 % a moins de 5 ans) ; la jeunesse de cette population se justifie par un accroissement démographique de 3,8 % sous-tendu par un indice synthétique de fécondité de 6,8 enfants par femme en 2019 []. Les prévisions tablent sur une envolée des chiffres de la population passant de 23 millions à 30 millions dans 10 ans, pour atteindre 70 millions en 2050.

Pauvreté et insécurité alimentaire

Le Niger subit depuis de longues années une irrégularité pluviométrique qui induit une disponibilité insuffisante en produits agricoles de base : la faiblesse des pluies dans le temps et dans l’espace, alliée à la dégradation de l’environnement due à l’avancée du Sahara influent sur le sort de presque 80% de la population (sur seulement 11% des terres arables) de ce secteur primaire, représentant malgré tout plus de 40% du PIB. D’ailleurs toute l’histoire du Sahel, depuis le XVIIème siècle (voire au-delà) n’est qu’une succession de sècheresses et de famines occasionnant des pertes en vies humaines et animales ainsi qu’un déplacement massif des populations vers les zones les plus clémentes : l’une des famines les plus emblématiques survenue au début des années 70 a donné lieu à un élan de solidarité internationale avec une certaine médiatisation de la situation qui dans l’inconscient collectif renvoie le Sahel à la famine et à la sècheresse.

De ce fait, la pression démographique particulièrement élevée engendrant une pression foncière et l’amenuisement des ressources naturelles est un point d’achoppement quant à l’objectif affiché de l’autosuffisance alimentaire. Au cours de l’an 2020, plus de 2 millions de personnes pourraient être affectées par une insécurité alimentaire sévère, selon le premier ministre nigérien, aux termes d’une campagne d’évaluation de la sécurité alimentaire dans la partie septentrionale : 6 des 8 régions du Niger sont marquées par la mauvaise production agricole, des inondations et une production fourragère insuffisante dans les zones pastorales.

Avec 41% de la population vivant au-dessus du seuil de pauvreté, le Niger est l’un des pays qui se débat dans les tréfonds du classement IDH des pays les plus pauvres de la planète, abonné aux dernières places. Cette situation en trompe-l’œil ne doit pas occulter les constantes démographiques dans un pays qui a fait d’énormes progrès dans la transition démographique et dans la lutte pour la réduction de la pauvreté, laquelle était de 54% en 2005. En plus, le taux de croissance de 6,4% en 2019, supporté essentiellement par le secteur rural, permet de maintenir les leviers économiques à flot malgré la réduction des retombées financières générées par le pétrole et l’uranium. Ces deux ressources minières (auxquelles il faudrait ajouter l’or, le charbon, la cassitérite, le gypse) - qui sont contrôlées, l’une, par la Chine, qui exploite en plus une raffinerie à Zinder et, l’autre, par la France (avec Orano ex-Areva) - pèsent dans la balance commerciale. Mais la baisse des cours de l’uranium nigérien (qui ravitaille près de 40% des centrales nucléaires françaises) porte un coup au programme de développement du pays.

II. Etat des lieux de la pandémie au Niger

Le spectre de la pandémie s’est tardivement mais progressivement installée au Niger comme dans tous les pays africains. Les pouvoirs publics ont vite anticipé la catastrophe tant annoncée sur le continent en prenant des mesures préventives.  Le patient 0 a été rapidement identifié et pris en charge au Niger : il est présenté comme étant un passager d’un bus qui revenait de Ouagadougou le19 mars soit 9 jours après la déclaration de plusieurs cas au Burkina. Ce pays est vite devenu un foyer inquiétant de la pandémie en Afrique de l’ouest en raison de l’arrivée de ses compatriotes d’Europe et d’Asie.

⦁ Appréhensions vis-à-vis de la pandémie
Les premières semaines de la déclaration des cas en Chine et en Europe ont été attentivement suivies sur les réseaux sociaux au Niger mais accueillies avec scepticisme : les Nigériens, comme ailleurs, ont développé une incrédulité et une défiance d’une pandémie considérée déjà comme une « maladie des Blancs ». Même les premiers cas n’ont pas convaincu les Nigériens de l’acuité de cette pandémie mêlant théories du complot et nihilisme : pour beaucoup, la maladie n’existe pas, c’est un complot de l’Occident pour piller nos ressources, ou pire Bill Gates via sa fondation veut massacrer les Africains avec un vaccin ou veut s’enrichir en finançant un remède… Une flopée de fake news sont relayées par WhatsApp sur la base de sources douteuses ou non signées.A titre d’exemple, lors d’une interview le docteur vétérinaire Z. Maïga, à l’instar de certains leaders d’opinion, après avoir fait un historique du virus avec une première mutation pour donner le SRAS (sic), puis le  MERS (re-sic), décrétait de manière abrupte «au-delà de 20°C, il [le virus] dégage, il est mort ! » C’est le genre de parole qui porte dans un pays qui enregistrait à l’époque des pics de température de 35-40°C.

Le facteur religieux :

L’irruption de la pandémie au Niger à partir du 19 mars, n’a pas refréné les habitudes religieuses des Nigériens en termes de participation aux prières collectives. L’imaginaire collectif du croyant veut qu’on ne peut combattre une pandémie qu’avec des invocations en groupe, malgré les mises en garde de certains imams qui se réfèrent aux textes canoniques en période de trouble ou de maladie. La fermeture des mosquées ordonnée à partir du 19 mars par le gouvernement a provoqué des manifestations de rue à Niamey, Zinder, Mirriah de la part de croyants qui voulaient la réouverture immédiate des mosquées et l’autorisation de la prière collective du vendredi. Cette situation a occasionné par contre l’indignation de beaucoup de Nigériens qui craignent la diffusion rapide du virus en raison de la non-observance des mesures-barrières.

III. Evolution de la pandémie

Les premières mesures gouvernementales :

Le Niger a pris d’importantes mesures conservatoires et de prévention avant la déclaration officielle du premier cas. Ainsi, dès le 19 mars, le Président de la République a dans un premier message tant attendu à la Nation, fixé le cap avec des mesures sociales et pratiques afin de contrecarrer le développement des foyers pandémiques : fermeture de l’espace aérien, des écoles, des mosquées et d’autres lieux de rassemblement tout en rappelant les mesures-barrières et d’hygiène (voir tableau ci-après). Ces premières mesures qui seront suivies par d’autres, en raison de l’acuité de la pandémie et de l’urgence infrastructurelle, ont eu le mérite de réduire, dans un premier temps, le degré de propagation du virus avec une attention particulière portée sur le Burkina Faso voisin qui recense déjà ses premières victimes.

 Fermeture des aéroports internationaux de Niamey et de Zinder pour une durée de 2 semaines, renouvelable à compter du 19 mars 2020 à minuit sauf pour les vols domestiques, cargos, sanitaires, et militaires;
 Fermeture de toutes les frontières terrestres pour une durée de 2 semaines renouvelables à compter du 19 mars 2020 à minuit excepté pour le transport des marchandises ;
 Concertation entre le gouvernement et les leaders religieux (Oulémas et prêtres) afin d'arrêter les mesures relatives à l'accès aux lieux de culte.
 Fermeture de tous les établissements d’enseignement préscolaire, primaire, secondaire et supérieur pour une durée de 2 semaines renouvelable à compter du 20 mars 2020 à minuit; les parents sont chargés de la garde de leurs enfants.
 Fermeture des bars, des boites de nuit, salles de cinéma et des lieux de spectacle à compter du 18 mars 2020 à minuit ;
 Interdiction des rassemblements de plus de 50 personnes. Cette mesure concerne notamment : les baptêmes, les mariages et toute autre forme de cérémonie, sur toute l’étendue du territoire. En particulier, les ateliers et séminaires sont interdits jusqu' à nouvel ordre.
 Institution des mesures d’hygiène obligatoires dans les marchés, magasins, restaurants, services publics et privés ;
 Respect d’une distance d’au moins un mètre entre les personnes dans les grandes surfaces, les restaurants, les entreprises, les zones aéroportuaires et les lieux publics;
 Gratuité du diagnostic et de la prise en charge des éventuels cas confirmés.
 Révision du plan d'urgence pour tenir compte des nouvelles exigences, et allocation d'une somme d' 1 milliard de francs CFA sur le budget national pour son financement.

Evolution de la pandémie :
En dépit de ces premières mesures énergiques censées contenir la pandémie, la courbe du coronavirus poursuit une hausse exponentielle surtout à partir du 31 mars. Au départ les infections sont dues aux facteurs et individus exogènes entrés sur le territoire fin février et début mars surtout dans les deux principaux foyers de Niamey et Zinder. Ainsi, on dénombre à la date du 25 mai 2020 :


 

 

⦁ Le « cluster » de Niamey

Le « cluster » de Niamey La capitale a été la première zone touchée par la pandémie en raison de son cosmopolitisme, son activité aéroportuaire et de sa proximité avec le Burkina, considéré comme le principal foyer de l’Afrique de l’Ouest. La non-observance des mesures et gestes barrières ont favorisé, comme ailleurs au Niger, le développement de la pandémie : attitudes tactiles, rassemblements, manque d’eau ou de savons, absence de masques ou de qualité douteuse…

⦁ Le foyer de Zinder

La deuxième ville du Niger a connu par contre plus tardivement ses premiers patients bien après Dosso, Maradi. Zinder, un des centres religieux le plus important (siège d’un sultanat) a subi ses premières infections en raison des manquements de l’observation des mesures-barrières mais surtout de sa proximité avec le Nigeria. Fin avril-début plus de 23 000 personnes (talibés, villageois) sont refoulés ou volontairement refugiés au Niger (au sud de Zinder) en provenance de la mégapole nigériane de Kano qui commençait à recenser des « morts mystérieuses ». En outre, certains croyants ont peu apprécié les mesures de fermeture des mosquées déclenchant comme à Niamey ou à Mirriah (20 km de Zinder) des manifestations de mécontentements.

Au Niger, à la date de 24 mai 2020, Niamey, avec 54 cas positifs pour 100 000 habitants, reste la région la plus touchée par la pandémie, suivie d’Agadez (5 cas pour 100 000 habitants), de Zinder (2 cas pour 100 000 habitants), de Diffa et de Dosso, qui enregistrent environ un cas pour 100 000 habitants. En revanche, les régions de Tillaberi, de Maradi et de Tahoua sont les moins touchées, avec moins d’un cas pour 100 000 habitants. Le pic de la pandémie a été atteint le 12 avril avec 69 cas positifs dans la seule journée. D’après les données recueillies par le ministère de la santé et l’INS, les proportions des décès liés au Covid-19 concernent très souvent les personnes sujettes aux maladies chroniques, la pauvreté, la sous-alimentation, la peur d’attirer l’attention sur le coronavirus que d’aucuns considèrent comme une « affection honteuse », qu’il faut absolument cacher !

En outre, il y a une disproportion des décès par sexe où 67% sont des hommes (qui sont généralement au travail à l’extérieur) tandis que les femmes, probables victimes collatérales représentent 33%.
Mais d’une manière générale, depuis le premier cas le 19 mars, on note à partir de la mi-mai, une tendance à la baisse, mais surtout un taux de guérison de plus de 82%. Par contre, en dépit de l’amélioration continue du taux de guérison à la COVID-19, la létalité liée à ce virus reste relativement élevée. En effet, à l’échelle du continent africain, le Niger avec 6,5%, fait partie des pays enregistrant les plus forts taux de létalité (proportion des décès) à la COVID-19, à la date du 24 mai 2020. C’est pourquoi les pouvoirs publics incitent la population à plus de vigilance et au respect des mesures-barrières malgré les bons chiffres du R0 (coefficient de transmission) passés de 0,60 à 0,25, ce qui témoigne de l’évolution favorable de la pandémie.

Infrastructures de prise en charge sanitaire :
Malgré la pauvreté du pays, le Niger dispose d’un système de santé certes très insuffisant mais en avance sur beaucoup d’autres pays d’Afrique. Avec un fonctionnement pyramidal, ces structures publiques assurent la couverture sanitaire du pays. A celles-ci se s’ajoutent des formations privées constituées de cliniques, dispensaires et centres de soin… plus ou moins formelles.
Mais il a fallu parer au plus pressé avec l’apparition du coronavirus, puisqu’aucune structure n’est prévue pour ce genre d’affection contagieuse dans la prise en charge des patients. L’hôpital général de référence de Niamey (HGR), a été mis à contribution pour les premiers cas avérés. En province, ce sont les hôpitaux nationaux et les centres hospitaliers régionaux qui dépistent et traitent cette pathologie.

Infrastructures de prise en charge sanitaire :
Malgré la pauvreté du pays, le Niger dispose d’un système de santé certes très insuffisant mais en avance sur beaucoup d’autres pays d’Afrique. Avec un fonctionnement pyramidal, ces structures publiques assurent la couverture sanitaire du pays. A celles-ci se s’ajoutent des formations privées constituées de cliniques, dispensaires et centres de soin… plus ou moins formelles.
Mais il a fallu parer au plus pressé avec l’apparition du coronavirus, puisqu’aucune structure n’est prévue pour ce genre d’affection contagieuse dans la prise en charge des patients. L’hôpital général de référence de Niamey (HGR), a été mis à contribution pour les premiers cas avérés. En province, ce sont les hôpitaux nationaux et les centres hospitaliers régionaux qui dépistent et traitent cette pathologie.

IV. Les actions de la diaspora

La Diaspora à travers son instance représentative, le Conseil des Nigériens de France (CONIF) a très tôt pris la mesure de la singularité de la situation en publiant régulièrement des notes d’information sur la situation de ses compatriotes. Une attention particulière portait sur des franges de sa population les plus précaires ou fragiles (migrants, refugiés, étudiants ou familles monoparentales). Il s’agit de prendre régulièrement des nouvelles, conseiller, orienter, rassurer les personnes en souffrance ou non. Des contacts téléphoniques, réunions en téléconférence avec les concernés sont effectués pour faire le point avec ces catégories de population, ce qui lui permet de suivre et de communiquer sur l’évolution de la pandémie.

Par manque de moyens financiers conséquents pour porter secours et assistance éventuels, le CONIF en collaboration avec toutes les associations qui lui sont affiliées, réfléchit depuis un certain temps à la mise en place d’un « « Fonds de solidarité » pour parer aux questions d’urgence qui peuvent se poser à la communauté nigérienne. La survenue de la pandémie vient donner les arguments et la pertinence de la constitution d’un tel fonds.

En tout état de cause, le CONIF continuera sa politique d’informations et de conseils (et d’assistance si les conditions le permettent) et mettra à profit après normalisation de la situation lors de ses activités (comme la Journée Culturelle, la Journée de la Femme, Conifoot –barbecue/foot, Journée de l’étudiant…) pour porter les messages de rassemblement et de sensibilisation en période exceptionnelle comme celle-ci.
D’autres associations ou ONG nigériennes de France ont pu aussi, avec le soutien du CONIF, mener des opérations de distribution des kits anti-Covid ou de distribution de vivres, surtout en cette période avril-mai coïncidant avec le mois du ramadan au Niger.

Le Niger peut, avec le train de mesures annoncées par le gouvernement et le respect relatif des règles-barrières, aborder depuis le 20 mai avec sérénité mais prudence la décrue des cas de la pandémie. A l’inquiétude suscitée par la capacité d’accueil et de prise en charge sanitaire, le Niger a réussi pour le moment, à ne pas subir de débordements. Les autorités viennent d’ailleurs d’assouplir le couvre-feu à Niamey, et les règles de réouverture des lieux de culte, des lignes de transport terrestre.

Le Niger, ce pays aux multiples défis démographiques, écologiques, alimentaires, sécuritaires est en passe sûrement de gagner aussi le énième combat contre une pandémie qui a causé des milliers de victimes dans le monde.

Chronique rédigée par : Aboubakar LALO - Vice-président du Conseil des Nigériens de France (CONIF)

Comité de rédaction : Chadia Arab, Benoit Mayaux, Jacques Ould Aoudia, Patrick Rakotomalala

Mise en forme et communication : Randa Chekroun, Pierangela Fontana

Les propos contenus dans la présente publication n’engagent que leurs auteur.e.s 

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