billet sorti sur MEDIAPART, 08 avril 2020
Les grandes puissances mondiales sont impuissantes face à cette crise et privilégient le « chacun pour soi »
La crise planétaire du Covid-19 est un événement d’une extrême gravité.
De fait, la pandémie joue un rôle de révélateur d’un système de santé publique au Nord épuisé par les réductions budgétaires. Mais cette crise sanitaire nous parle aussi de la mondialisation avec sa propagation foudroyante du fait de la frénésie de voyages qui se font entre tous les points de la planète. Et elle se combine aujourd’hui à une crise sociale et économique majeure.
Une crise sociale qui exacerbe des inégalités à l’intérieur des pays et encore plus entre les pays et les continents. Car on n’est pas égal face au confinement : tout le monde ne peut pas se confiner et/ou télétravailler. La continuité de l’école à la maison suppose des moyens que toutes les familles n’ont pas. Et on constate qu’en France, ce sont les plus démuni.e.s qui subissent de plein fouet cette crise, et parmi eux/elles : les SDF, les migrant.e.s, les femmes (le nombre de violences conjugales a augmenté de 32% depuis le confinement en France selon le Secrétaire d’Etat à l’égalité Homme-Femme), les personnes isolées... Comment vivre le confinement obligatoire, alors que tou.te.s n’ont pas de logement, et que certain.e.s sont encore sur la route ? Comment faire avec les demandes d’autorisation de circulation alors que tou.te.s n’ont pas de carte de séjour ? Cela pose la question de l’accès au soin, la garantie d’un hébergement, l’obtention de papiers. Mais aussi dans quelles situations se trouvent les personnes réfugiées parquées dans les camps aux frontières et à l’intérieur de l’Europe ?
Manque de cohérence des politiques publiques
Les mesures sont prises sans coordination et sans cohérence d’ensemble lisibles. Nous avons vu la géométrie variable des mesures prises sur le confinement, sur le dépistage, sur l’accès aux masques pour les personnels soignants, mais aussi pour tou.t.es celles et ceux qui sont obligé.e.s d’être en contact avec le public.
La crise qui sévit dans les pays développés a montré l’impréparation et la fragilité de ces pays, leur absence de solidarité entre eux et en leur sein, et les failles dans les processus de décision politiques.
Qu’en est-il dans les pays du Sud, et notamment sur le continent africain ?
Pour l’instant, les pays africains ne sont pas massivement touchés. Mais des cas se déclarent dans les pays d’une façon croissante, et on sait que ce virus ne s’arrête pas aux frontières. Tout laisse à craindre que la pandémie va se répandre largement. Car on aura beau construire des murs, ériger des barricades, le virus passera au travers des interstices des frontières.
D’autant que la crise climatique n’est pas en reste. La pandémie s’ajoute aux fragilités entraînées par la crise environnementale : précipitations plus rares et plus violentes, désertification...
Les caractéristiques structurelles du continent africain, notamment la fragilité des systèmes sanitaires, peuvent être source d’inquiétude du point de vue de l’extension de la pandémie.
L’Afrique a un niveau de richesse monétaire par habitant parmi les moins élevé du monde. Son PIB est l’équivalent à celui du Bangladesh (314 milliards de dollars), là où le PIB de la France atteint presque 3.000 milliards de dollars. Parmi les 25 pays les plus pauvres répertoriés par le Fonds Monétaire International (FMI), 21 se situent en Afrique. Aucun d’entre eux ne dépasse 1.000 dollars par habitant et par an. De plus, d’après l’ONU, 663 millions de personnes dans le monde n’ont pas d’accès à l’eau potable, dont près de la moitié (320 millions) se trouve en Afrique.
Corollaire de cette pauvreté économique et sociale, un système sanitaire d’une grande fragilité. L’organisation Mondiale de la Santé, OMS, estime à 32 médecins pour 10.000 habitant.e.s en France, quand 23 pays du continent africain ont moins d’un médecin pour 10.000 habitants. La Guinée, le Niger et le Sénégal ont 3 lits d’hôpital pour 10.000 habitants, tandis que le Maroc et la Tunisie ont respectivement 7 et 13 lits pour 10.000 habitants[1], alors que la moyenne mondiale est de 27. L’épidémie Ebola entre 2014 et 2016 en Sierra Léone, Guinée et Liberia a fait plus de 11.000 victimes. Mais ces pays ont amélioré leur système de santé et devraient être mieux armés face à la pandémie actuelle.
A cette faiblesse de moyens de santé, s’articulent des facteurs démographique, d’hygiène, d’alimentation, de travail, d’éducation qui créent des conditions qui pourraient accélérer la diffusion du virus bien au-delà des capacités d’accueil et de soin des systèmes de santé publique. Tous ces éléments fondent les inquiétudes que nous pouvons avoir pour les sociétés du continent africain face à la pandémie. Et en même temps sa jeunesse peut être un atout pour lutter contre le virus.
Les ripostes des politiques publiques - L’impossible « distanciation sociale »
Les mesures prises sont très différentes selon les pays, mais on s’interroge sur leur mise en pratique. Le confinement total est décrété au Maroc et en Tunisie, ainsi qu’en Afrique du Sud. Des couvre-feux sont mis en place dans plusieurs États : Algérie, Cameroun, Côte d’Ivoire, Sénégal, Mauritanie, Gabon, Madagascar, Mali. Plusieurs grandes villes sont mises en quarantaine au Bénin et au Togo. D’autres états ont décrété l’état d’urgence : Namibie, République Démocratique du Congo. Au moment où nous écrivons ces lignes, de nouvelles directives peuvent être prises.
Mais qu’en est-il de la réalité et de l’efficience de leur mise en œuvre dans ces contextes culturels, sociaux, économiques, structurels ?
Aujourd’hui près de la moitié de l’humanité est sous confinement total ou partiel. Or, dans les sociétés du Sud, entre un quart et la moitié de la population vit et travaille à l’extérieur. Travaux des champs dans le rural. Petits métiers des rues dans l’urbain. Des activités « informelles » qui procurent des ressources pour vivre au jour le jour, en une économie de subsistance et une économie de survie.
80% de l’emploi est « informel » au Maroc, 63 % en Algérie et 59 % en Tunisie[2]. Le Cameroun le Sénégal connaîtraient un taux de travail informel de 90%. En Afrique du Sud il serait de 80% et de 50% en Éthiopie[3].
Que signifient « confinement », « distanciation sociale », pour ces travailleurs qui constituent une majorité de la population active ? Une bonne partie d’entre eux n’a pas d’autre ressource de subsistance. L’épidémie va les mettre en grande difficulté.
Comment confiner, quand l’essence même de la vie en Afrique se trouve dans la communauté et la famille élargie et que tout se vit à l’extérieur de la maison ? Comment manger quand la majeure partie de la population ne pourra plus avoir accès à un travail, même si celui-ci n’était qu’informel ? Comment soutenir les personnes âgées, plus vulnérables, sans système collectif de prise en charge et de soin ?
Des mesures de soutien à l’activité économique et aux travailleur.se.s empêchés de travailler, y compris celles et ceux qui travaillent dans l’informel, sont à l’étude ou ont été annoncées. Toutefois, l’étau de l’endettement et les capacités administratives limitées constituent en amont un frein à ces mesures.
La solidarité par le bas : les associations ont un rôle à jouer
Depuis l’arrivée de l’épidémie sur le continent, beaucoup d’initiatives citoyennes sont mises en place par des associations. Des dynamiques solidaires se structurent dans des réseaux de proximité immédiate. Des habitant.e.s solidaires, des associations de soutien s’inscrivent dans cette démarche citoyenne pour aider les plus démuni.e.s. Des collectes de fond s’organisent à l’étranger aussi de la part de migrant.e.s, d’associations de migrant.e.s qui soutiennent leur famille, leur village d’origine. Les diasporas sont en train de se mobiliser pour aider leurs proches là-bas.
Les transferts de fond : la solidarité par-delà les frontières
La précarité financière que le confinement renforce met en lumière le rôle positif que jouent les diasporas au quotidien en direction de leur pays et communautés d’origine. Les transferts de fonds permettent aux familles d’assurer les besoins de base, a fortiori dans un contexte de crise. Estimés à trois fois les montants de l’Aide Publique au Développement, ces transferts n’ont toutefois pas vocation à remplacer les richesses nationales, et ne pourront en aucun cas pallier le manque d’investissements chronique dans les services publics, en particulier les systèmes de santé.
C’est à l’échelle du monde entier que les engagements financiers doivent être pris, avec un changement d’échelle et de paradigme ! C’est donc une approche nouvelle qu’il faut promouvoir, une entraide à mettre en œuvre à l’échelle planétaire. Une stratégie qui se limiterait à ces seuls transferts de la diaspora pour tenter de juguler la pandémie qui ne peut être stoppée ici en la laissant se développer là-bas, aurait tôt fait de revenir comme un boomerang vers les sociétés du nord. La pandémie nous impose de penser la solidarité sur d’autres bases.
Il s’agit évidemment d’encourager toutes ces initiatives citoyennes, mais cela suffira-t-il ?
Les autorités qui mettent en place des dispositifs de soutien aux travailleurs de l’informel et aux personnes sans ressource ont besoin des associations pour diffuser l’aide. Car les populations n’accepteront pas que les aides soient capturées par quelques-uns, alors que d’autres sont dans le besoin absolu. Les associations peuvent agir pour vérifier que les annonces des autorités en soutien aux plus vulnérables soient suivies d’effet. A la crise sanitaire risquerait sinon de se superposer une crise sociale, qui affaiblirait encore plus les réponses à l’épidémie.
Le FORIM est en première ligne pour collecter et partager l’information sur les pratiques sociales et citoyennes qui émergent dans nos pays d’origine et dans les diasporas.
Face aux risques que nous avons identifié, mais aussi aux initiatives qui émergent, ici et là-bas, les diasporas ont un rôle crucial à jouer.
Nous connaissons le rôle essentiel de nos associations d’ici et là-bas qui interviennent, souvent sans reconnaissance, sur le domaine de la santé, de l’éducation, de l’information, interventions qui vont s’avérer oh combien nécessaires dans la crise qui va peut-être se jouer.
Il est indispensable que nous les soutenions sur tous les plans et que nous puissions offrir au plus grand nombre la connaissance de leurs initiatives solidaires.
Tout au long de cette crise sanitaire, le FORIM rassemblera les informations qui remontent de nos pays d’origine et dans la diaspora à travers des chroniques régulières. Pour partager les initiatives, les inventions, dans la rue, dans les milieux hospitaliers, dans toute la société. En prenant une attention particulière à la vérification des informations, pour éviter de répandre des informations fantaisistes et des fake news dont le climat de peur favorise la multiplication.
Nous réfléchissons à la mise en place d’une web radio, afin de mettre en lumière les initiatives portées par les organisations de solidarité internationale issues des migrations, pendant la crise, ici et là-bas.
Nous réagirons, autant que nous le pourrons, à des situations difficiles des diasporas en France, ou à des propos que nous trouverons choquants et/ou diffamants[4].
Nous restons inquiets et vigilants sur l’évolution de la maladie sur ce continent. Les relations avec le continent africain sont encore intenses, qu’elles soient économiques, sociales, culturelles et politiques. Des liens historiques remontant à l’histoire coloniale et aux vagues migratoires des Africain.e.s en Europe depuis plusieurs décennies, participent à la mise en place de diasporas établies en France, et contribuent à ces passerelles et ces liens effectifs et affectifs entre les deux continents.
Il s’agit de montrer à tout.e.s ce qui se fait de mieux ici et là-bas, dans une entraide entre les sociétés, du Nord et du Sud, et où la solidarité prend tout son sens.
Il s’agit d’affirmer encore plus fort notre attachement à un comportement universel d’humanité. C’est de l’intérêt de tou.te.s.
Le FORIM
[1] Banque mondiale, https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SH.MED.BEDS.ZS?view=chart
[2] Chiffres de 2018, d’après l’Organisation internationale du Travail (OIT).
[3] Étude publiée en 2015 dans le Monde Diplomatique par Sabine Cessou.
[4] Le FORIM a alerté les autorités publiques sur la situation difficile du foyer de migrants de Montreuil.