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Point sur le Covid-19 dans le double espace : le Dr Diouf Mamadou Mansour - grand témoin de la crise au Sénégal et en France

18 mai 2020

Le grand témoin, le Docteur Diouf Mamadou Mansour, Médecin anesthésiste-réanimateur à Bordeaux, avec une grande expérience dans l’hôpital de Dakar et des hôpitaux régionaux du Sénégal

Propos recueillis par Khady Sakho Niang, membre du Comité de Suivi du Symposium sur les Sénégalais de l’Extérieur (CSSSE), présidente d’Africa-Europe Diaspora Development Platform (ADEPT), ancienne Présidente du FORIM

Propos retranscris par Benoit Mayaux, chargé de plaidoyer au FORIM

1. Bonjour Docteur Diouf : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs et lectrices des ChrocoVies du FORIM ?

2. Actuellement, la situation pandémique que traverse le monde vous projette malgré vous au-devant de la scène internationale. Quelle lecture en faites-vous ?

Bonjour je suis le docteur Diouf Mamadou Mansour, je suis anesthésiste réanimateur installé à Bordeaux. Pour ce qui est de mon cursus, j’ai été formé à l’Ecole Militaire de la Santé de Dakar particulièrement à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. J’ai servi au Sénégal dans l’armée et j’ai servi dans beaucoup d’hôpitaux universitaires notamment au CHU de Fann, à l’hôpital Aristide le Dantec, l’hôpital Général de Grand Yoff, et j’ai également servi dans de nombreux hôpitaux régionaux, pour vous dire que le système hospitalier au Sénégal ne m’est pas inconnu !

Comme on peut le voir depuis que cette maladie a éclaté en chine, et s’est propagée progressivement en Europe, aux Etats-Unis, etc. jusqu’à devenir aujourd’hui une pandémie, on voit des évolutions assez disparates, par exemple au moment où la Chine sort du déconfinement et reprend progressivement une vie normale, en Europe on voit une première tendance à une pente descendante mais attention ! les lendemains du déconfinement sont incertains. Certains redoutent une seconde vague, attendons de voir ce que cela va donner. Pendant ce temps, les Etats-Unis sont devenus l’épicentre de cette pandémie avec son lot de morts, notamment l’état de New York avec une mortalité très importante et une progression rapide, tandis qu’en Afrique après une phase de balbutiement on commence à avoir une augmentation assez inquiétante du nombre de cas. Voilà la situation actuelle. En ce qui concerne les stratégie mises en places, elles varient d’un pays à l’autre. Sur le plan thérapeutique, nous n’avons pas de traitement curatif qui fasse l’unanimité. Les travaux sont en cours et les molécules testées, les protocoles en cours d’évaluation. Nous verrons les résultats dans quelques temps.

3. Vous êtes doublement concerné par ce qui se passe de par votre qualité de médecin en France, membre de la diaspora sénégalaise, avec un regard sur la gestion de cette pandémie sur le double-espace territorial. Est-il facile de porter ces casquettes ?

4. Ceux et celles qui vous suivent sur les réseaux sociaux vous voient mener des combats sur tous les fronts. D’où puisez-vous cette énergie ?

Oui, donc je suis effectivement impliqué dans la prise en charge de cette maladie ici en France, dans sa face la plus hideuse, les formes graves que l’on voit en réanimation parce que j’y travaille, mais je suis de très près ce qui se passe au Sénégal en m’impliquant dans le cadre de la sensibilisation. Est-il facile de porter ces casquettes ? Oui, on ne peut pas rester indifférent à ce qui se passe au pays. On participe par le biais de contributions, soit des publications sur les réseaux sociaux, par le biais de vidéos de sensibilisation, parce que ce que nous vivions ici, nous ne souhaitons pas que nos pays démunis en terme d’infrastructure sanitaire, en terme de plateau technique médical, puissent être confrontés à cette situation, qui serait catastrophique.

Ceux qui me suivent me voient sur tous les fronts. Les combats de la sensibilisation, pour l’information et la communication, expliquer l’importance des mesures barrières, comment porter les masques, les enlever, etc. Sur le plan de certaines décisions qui ne semblent pas opportunes, la mesure d’interdiction des rapatriements des corps, je suis particulièrement impliqué dans ce combat contre l’injustice et l’arbitraire, contre ce qui risque de saper l’unité nationale. Toute cette énergie je la puise du patriotisme

5. Quelle serait votre appréciation globale sur cette crise sanitaire ? Grippe saisonnière ou machine à tuer ?

6. L’Afrique a-t-elle plus de chances de s’en sortir contrairement aux pronostics des oiseaux de mauvais augure ?

Concernant l’appréciation globale, je pense que tout le monde peut se faire son idée. Initialement, ceux qui avait qualifié à tort de grippe banale se sont rendus compte que le virus a des qualités importantes, caractérisées par une contagiosité forte, une forte mortalité au niveaux des groupes vulnérables, des personnes âgées ou avec des pathologies chroniques, qui ont des déficits d’immunités, mais on voit des sujets jeunes maintenant aussi victimes de cette maladie. Tous les jours on en apprend davantage, le virus n’a pas encore livré tous ses secrets. Je pense que cela nous oblige à un apprentissage, à nous préparer, ces maladies transmissibles émergentes sont la conséquence de la dégradation de l’environnement, on va faire face à l’avenir à ces types de maladies. Par analogie à la course à l’armement nucléaire, aujourd’hui c’est la course à l’armement médical. Il faut relever les plateaux techniques des hôpitaux. Les pays qui ont été submergés par la vague ont été pris de cours et se sont rendus comptes des limites de leur plateau et sont en train de se rééquiper. C’est dommage que l’Afrique ne soit pas dans cette perspective.

Les prévisions de l’OMS par rapport à l’hécatombe en Afrique sont basées sur des faits concrets, quand on voit la pauvreté du plateau technique médicale en Afrique, et les comportements irresponsables des populations, tous les ingrédients sont réunis pour une propagation de l’épidémie. On a raison de se faire du souci ! Là où l’Afrique peut avoir un avantage, c’est qu’elle a vu venir pour mettre des stratégies en place, et apprendre des erreurs des autres. On sent une certaine négligence de la maladie, de son potentiel, qui risque de nous prendre de court.

7. Que pensez-vous des solutions et protocoles tels que ceux du Dr Raoult et de Madagascar ?

8. Quels conseils donneriez-vous aux Etats et professionnel.le.s de santé en Afrique pour faire face et contenir la contagion ?

Vous avez certainement remarqué les polémiques sur les protocoles du Dr Raoult. Le monde médical a édicté des règles pour les protocoles, elles sont universellement reconnues mais n’ont pas été appliquées à la lettre par le Dr Raoult. Pour le médicament de nos frères malgaches, ça mérite d’être exploré. Mais ce ne sont pas des recettes à prendre avec un chèque en blanc ! il faut évaluer son efficacité mais également son innocuité, il ne faut pas que ça génère des effets indésirables.

Déjà, que les professionnels se protègent ! le personnel de santé est le plus exposé. Je reçois des informations qui montrent que le matériel adéquat n’est pas toujours disponible, cela fait froid dans le dos. Il faut exiger une protection optimale (masques, lunettes, etc.). Pour ce qui est des stratégies par les autorités, il faut tenir compte des suggestions et des avis de ceux qui vivent l’épidémie (Europe, Etats-Unis), et retenir les leçons pour ne pas commettre les mêmes erreurs. Nous regardons ce qui a été mis en place au niveau du Sénégal, et nous avons fait des propositions. Par exemple, hospitaliser tous les patients, symptomatiques ou asymptomatiques, qui a été la stratégie au début, nous l’avons critiqué. Les capacités du système hospitalier sénégalais sont limitées et hospitaliser tout le monde n’est pas une bonne option et certains peuvent rester chez eux. Les autorités sont revenues dessus après 2 mois.

La prise en charge dans les hôtels des « cas contacts » ne nous parait pas judicieux. Cet argent devrait servir à équiper les hôpitaux en priorité. Les milliards annoncés dans le cadre de la force COVID 19 doivent être utilisés dans les hôpitaux. Nous sommes face à une crise sanitaire avant d’être une crise économique

9. L’Etat du Sénégal a interdit le rapatriement des sénégalais décédés du COVID-19. Existent-ils des risques qui justifient de telles mesures ?

C’est une mesure discriminatoire, illégale, et qui n’est pas justifiée, sans fondement médical et scientifique. Les autorités consulaires affirment avoir pris cette décision sur la base de recommandations de l’OMS et des spécialistes, nous avons dit que l’OMS n’a jamais dit ça. Le 24 mars, l’OMS a assouplit ses recommandations sur la prise en charge des victimes du COVID 19, et encourage au contraire le respect des croyances et des coutumes en matière funéraire. Par ailleurs, aucun document n’a été produit pour justifier cette mesure. La diaspora a formé un « collectif de rapatriement des corps » avec un pôle juridique, et un pôle médical. Après avoir interpellé en vain les autorités, le pôle juridique a saisi la cour suprême du Sénégal, qui a rendu une décision d’irrecevabilité, en invoquant une « controverse ». Nous espérons que les autorités reviennent à de meilleurs sentiments. La diaspora est déchirée par cette mesure, qui sape le moral et l’unité nationale. Je souhaite que ce problème puisse trouver une issue heureuse pour notre cohésion et que la diaspora ne se sente pas marginalisée et stigmatisée. La nation sénégalaise est une et indivisible[1].

[1] Depuis, le gouvernement sénégalais a autorisé le rapatriement des corps.

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