L’environnement
D’une longueur de 1600 kms et de 580 kms dans sa plus grande largeur, la grande île est située au Sud-ouest de l'Océan Indien, séparée de 400 kms du continent africain par le Canal de Mozambique. En 2019, Madagascar occupe le cinquième rang du classement des pays qui produisent le moins de richesses par habitant, avec un PIB par habitant de 471 dollars pour une population de 27,06 millions d'habitants.
Au classement IDH, la Grande-île a reculé au 161e rang sur 189 pays. Les inégalités sociales y sont très marquées. Madagascar est l’un des pays les plus pauvres au monde avec 74 % de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté et 50% en situation d’extrême précarité. Le taux de couverture sociale est inférieur à 20%. 37% de la population vivrait en zone urbaine. 11% des actifs sont salariés (89% relèvent donc du secteur informel)
La population est jeune : 64% de la population a moins de 25 ans, 47% moins de 15 ans. Cette jeunesse de la population caractérise une demande sociale croissante en éducation, santé, emplois, logements et infrastructures, et pose de fait un défi environnemental.
Carte des cyclones tropicaux majeurs (de catégorie 3 et plus) ayant frappé Madagascar entre 1983 et 2016. Source : Historical Hurricane Tracks, NOAA (Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique
Données santé et données sociales[ii]
Des problèmes sanitaires cruciaux persistent à Madagascar, problèmes aggravés par les urgences cycliques et les cataclysmes naturels (cyclones et inondations, sècheresse, sauterelles, …). Dans la perspective d’une expansion de COVID-19, les éléments de risque suivants pourraient fragiliser la population malagasy et le système de santé dans son ensemble :
- Les personnes âgées de 60 ans et plus représentent 5% de la population. Les maladies cardiovasculaires constituent le premier motif d’hospitalisation des personnes âgées avec 38% des cas. 3,9% des malades hospitalisés sont affectés de diabète. 11,6% des hospitalisations sont dues aux affections broncho-pulmonaires.
- Les maladies non transmissibles sont responsables de 49% des décès dans le pays. En outre, 36 % de la population présente une hypertension artérielle (HTA) et 880 000 sont diabétiques (2014).
- Les indicateurs de santé maternelle et infantile sont à des niveaux particulièrement inquiétants. La prévalence des Infections Respiratoires Aiguës chez l’enfant est passée de 3 % en 2008 à 11 % en 2012. La proportion d’enfants de moins de cinq ans souffrant de malnutrition chronique avec retard de croissance stagne à un niveau élevé de 47 % en 2012. Le ratio de mortalité maternelle reste à un niveau élevé depuis deux décennies. Pour 100 000 naissances vivantes on recense encore 478 décès maternels en 2012 et 23,6% de ces décès sont dus aux septicémies.
- Enfin, la persistance des maladies infectieuses et tropicales met en lumière des problèmes structurels d’accès à l’eau potable, d’hygiène et d’assainissement. En corollaire, le taux d’incidence du paludisme (nombre de personnes susceptibles d’être infectées) est passé de 6% à 12% de 2010 à 2015, avec une recrudescence particulière dans les régions Sud-est et Sud- ouest. En 2013, la prévalence du paludisme était de 9 %.
- De même, le nombre recensé de cas de tuberculose a augmenté de 3,1% entre 2014 et 2015. L’Ile constate par ailleurs 1500 nouveaux cas de lèpre par an et recense le plus grand nombre de cas de peste au monde, avec 515 cas rapportés en 2015.
- 2017 a connu un épisode épidémique de peste pulmonaire et bubonique violent qui a été particulièrement traumatisant pour la population. On aura constaté à Madagascar 75% des cas de peste recensés dans le monde par l'OMS
- Les maladies tropicales négligées (filariose, bilharzioses, cysticercose...) restent de forte prévalence.
- Une épidémie de rougeole meurtrière (2018-2019) s’est caractérisée à Madagascar par 115 000 cas recensés et 1 200 décès. A sa source, la faiblesse de la couverture vaccinale, aggravée par la malnutrition infantile.
[iI] ibid
Le système de santé malagasy, fortement tributaire des aides extérieures et sans stratégie claire de financement, souffre en outre d’une faible capacité de leadership, accentuée par l’instabilité institutionnelle et sociopolitique et un faible alignement des parties prenantes, en termes de priorité. La faiblesse de la gouvernance (équité, éthique, transparence et redevabilité sociale) engendre par ailleurs un déficit de confiance des bénéficiaires vis-à-vis du système qui laisse mal augurer la transparence et la solidité d’une remontée d’information des données épidémiologiques de la part du public
Les ménages supportent une grande partie des dépenses en santé (près de 40% de leur budget), par paiements directs avec un système de prévoyance sociale, notamment en faveur des couches vulnérables, notoirement insuffisant.
L’expérience de la lutte contre la drépanocytose à Madagascar, lutte pilotée par une ONG issue de la diaspora, illustre cruellement les difficultés d’un programme d’actions contre une pathologie donnée. Quant à cette maladie les causes de mortalité précoce au sein de la population malagasy, notamment au cœur des zones enclavées, sont majoritairement liées aux difficultés d’accès aux soins, au manque de moyens techniques, aux difficultés et errances de diagnostics et enfin, aux carences d’information et d’éducation. Reflétant les faiblesses du système de santé, les effectifs des malades atteints de cette maladie génétique seraient en expansion, alors qu’ils devraient être contrôlés par de seules mesures d’information, d’éducation et de prise en charge. Il est à l’instar imaginable que la prise en charge d’une épidémie de type COVID par ce système sanitaire risque de faire face à des difficultés liées à ces mêmes défaillances.
a. Le 17 mars, le gouvernement annonce que tous les vols internationaux et régionaux sont suspendus pendant 30 jours à partir du 20 mars.
b. À partir du 20 mars, toutes les personnes arrivées de l’étranger font l’objet d’un test auprès de l’Institut Pasteur de Madagascar. Une trentaine de cas sont comptabilisés. Tous les malades sont pris en charge par l’État à l’hôpital Manarapenitra d’Andohatapenaka à Tananarive, la capitale.
c. Décret de l’état d’urgence sanitaire le samedi 21 mars, prolongé de 15 jours le 17 avril, et mise en place de mesures de confinement à Antananarivo et Toamasina
d. Le 23 mars, les transports sont suspendus. Les familles quittent la capitale à pied pour rejoindre leurs villages d’origine.
e. Mise en place d’un centre de commandement opérationnel COVID-19 : coordination des mesures à appliquer contre la propagation du virus ; réception et répartition des équipements et matériels médicaux dons de l’OMS ; diffusion des informations officielles sur l’épidémie, retransmises sur les chaines nationales, ainsi que sur les chaînes de télévisions ;
f. Mise en place sur Tananarive et Toamasina de 2 x 70 brigades (agents de santé, forces de l’ordre et un agent psychosocial, véhicules mis à disposition) pour le suivi de santé et d’isolement de personnes confinées dans des hôtels, à domicile et dans des sites spécialisés (1.000 personnes par jour)
Les conséquences sociales des mesures de confinement se sont très vite fait sentir. Des files d’attente sont observées dans les grandes surfaces, les marchés, les stations d’essence.
Les tireurs de cyclo-pousse à Toamasina organisent des manifestations, en raison de la perte de leur activité liée aux mesures de confinement.
Toutefois, les mesures de prévention sont encore difficilement respectées dans la capitale. Pour Hélène, une lavandière, « ce coronavirus, c’est une maladie pour les vazaha [étrangers, ndlr], nous, on n’y croit pas du tout ». Tongatsara renchérit « c’est une politique mise en place par l’État, juste pour obtenir des subventions »(ouest France 23/03).
Le prix du ravintsara, du romba et du kininimpotsy, des plantes que la rumeur prétend efficaces contre le Covid-19, quadruple.
g. Arphine Rahelisoa, journaliste, qui avait critiqué la gestion de la crise par le pouvoir, est arrêtée le 4 avril, inculpée d’« incitation à la haine »envers le président et placée en détention.
h. Face aux problèmes de liquidité et de financement, la banque centrale malagasy annonce avoir injecté près de 620 milliards d’ariary (150 millions d’euros).
i. L’aide internationale afflue. Les principaux bailleurs (UE, France, FMI, BAD, etc.) débloquent 441 millions de $ (soit 16% du budget total de l’Etat !) pour équilibrer la balance de paiements, l’achat de matériel et le soutien au système de santé.
En relation avec l’OMS, la fondation Jack Ma (AliBaba) fait des dons de matériels et de kits de dépistages : 10 respirateurs, 20 000 tests de dépistage, 4 000 combinaisons de protection individuelle, 10 000 masques, 10 000 paires de gants et 400 thermomètres … etc, après une première livraison de 100 000 masques et 200 000 kits de tests le 25 Mars.
En parallèle, la recherche sur la pharmacopée malagasy, l’Artemisia en particulier, et l’utilisation de protocoles à base d’huiles essentielles et de médications de traditionnelles déploie la plus grande activité.
La « faiblesse » relative de ces chiffres en a interrogé plus d’un. Avec ce questionnement : « Comment un pays aussi pauvre, avec autant de faiblesses du système de santé, déjà submergé par des flambées successives de maladie en cours, et autant de fragilités sociales, pouvait-il connaître aussi peu de cas confirmés, aussi peu de décès » ? A regarder les quelques 700 000 cas et les 40 000 morts d’un pays développé comme les USA, ou les 112 000 cas et 19 000 morts en France, pour ne citer que ceux-là, le constat rendait perplexe certains observateurs.
Le continent africain est désormais touché, mais que sont les 13 000 cas et les 616 décès confirmés en Afrique au regard du million de cas confirmés en Europe ?
Si ces chiffres sont difficilement comparables, en raison des différences en termes de critères d’établissement et de disponibilité des données, les masses interpellent. Elles interpellent d’autant plus que localement les interprétations des plus fantaisistes font cours. Depuis les prédictions d’une prophétesse brésilienne qui viennent soutenir les déclarations fracassantes d’un dirigeant qui aurait découvert le remède miracle en passant par les interprétations les plus superstitieuses et populistes (« c’est une maladie d’européens, on n’a rien à craindre »), nous ne sommes pas certains de la meilleure prise en compte de la pandémie qui risque de se développer. Et l’examen des chiffres qui analysent le nombre de cas par pays et par million d’habitants rapportés au PIB, pourrait laisser accroire que le COVID 19 est une maladie des pays occidentaux.
Nous souffrons en fait d’une forme d’aberration mentale qui nous fait croire que la situation pourrait être moins grave qu’elle ne l’est réellement. Pollués émotionnellement et intellectuellement par le matraquage médiatique qui nous assène à longueur de journées les chiffres « hallucinants » du nombre de décès d’un Occident qui ne se préoccupe pas tant du nombre de victimes de la faim dans le monde, on en oublie qu’il faut comparer des choses comparables.
LA SITUATION A VENIR SERAIT, DE FAIT, BIEN PLUS GRAVE QU’ELLE NE LE PARAIT AUJOURD’HUI.
Le manque de transparence et la volonté de verrouiller l’information de la part du pouvoir malagasy ne peut que rajouter du brouillard au brouillard, et les postures de satisfaction de dirigeants qui se félicitent de la faiblesse du nombre de décès, et qui prétendent maîtriser la pandémie, ne sont pas moins aberrantes que les postures de dirigeants, scientifiques et gens de médias français qui regardaient avec condescendance la crise se développer en Chine ou en Italie.
L’exemple des errements et des retards des décisions européennes devrait alerter les dirigeants de nos pays : ils tombent dans les mêmes schémas erratiques de pensée. Cherchant à se rassurer et à nous rassurer en fuyant la réalité, en quête d’un hypothétique miracle : « On va passer à travers parce que… la météo, la génétique, les régimes alimentaires, le paludisme endémique, la jeunesse de la population, etc.». C’est éminemment dangereux.
En fait à comparer l’évolution du nombre de cas en France et à Madagascar, on a le tableau suivant qui prend en référence J0 la date d’apparition officielle du premier cas et la date de recensement des 100 premiers cas.
Le déclenchement de l’épidémie aurait débuté à Madagascar 54 jours après son déclenchement en France. Le début de confinement en France du 17 Mars a été suivi par un début de confinement partiel dans la Grande Ile seulement 6 jours après.
Il reste que malgré des mesures préventives et une connaissance « précoce » sur le sujet, le passage à la centaine de cas survient à Madagascar à J0 + 22 quand il survient à J0+33 en France dans des conditions où les mesures préventives ne relevaient encore que des préconisations de gestes barrières.
La courbe de propagation du COVID SERAIT donc plus forte qu’elle ne l’a été en France.
Le conditionnel s’impose. Cette maladie, dont le comportement nous reste très largement méconnu, pourrait - du moins on doit l’espérer – ne pas répondre aux seules données et projections statistiques. Ces projections seraient dramatiques si elles devaient s’avérer.
Il faut souligner que du 20 mars au 17 Avril, l’Institut Pasteur aura réalisé 2 357 tests à Madagascar (analyses de prélèvements) par les tests PCR (par le nez), sur une population de 27 millions d’habitants.
Avec une diaspora malagasy à la population estimée en 2013 à quelques 166 000 individus dans le monde (120 000 en France) le montant des transferts (hors IED) vers Madagascar par sa diaspora serait de l’ordre de 427 millions de $ annuels (373 millions depuis la France). En 2014, le montant des Investissements Etrangers Directs (IED) était de 635 millions de $. La diaspora malagasy est donc un acteur essentiel en termes de développement et de solidarités. La crise COVID ne semble toutefois pas avoir éveillé une mobilisation que l’on aurait aimé plus massive. On notera toutefois les initiatives suivantes :
Un collectif d'associations et d’ESS franco-malgaches réunies autour d'Alliances et Missions Médicales, du Relais Fianarantsoa, et d'Esperanza Joie des Enfants a lancé le 26 mars une opération "100 000 masques pour Madagascar" (production locale des masques lavables et réutilisables). Avec le soutien de la Fondation EDF, l'opération devient le 12 avril "500 000 masques pour Madagascar". La production est au 16 avril engagée à Fianarantsoa, Antsirabe, Imady, et d'autres sites s'engagent à Antananarivo, Morondava, Imito.
On constate une floraison d’initiatives de levées de fonds qui fait jour sur les plateformes de collecte (Leetchi, HelloAsso) : « Aide aux Habitants démunis d’Ambatolampy », « Covid - 19 Mada”, “Covid 19 Madagascar Medic”, “Covid 19 Masques à Madagascar (Amitie franco-malgache Fihavanana »), « Covid 19 Solidarité Madagascar », « Enfants Parrainés d’Ivato (Sol’Su) », »Hackaton Covid 19 Madagascar”, “Kits Urgence Covid 19 Madagascar”, “Les démunis de Madagasca »r, « Manakara sy Manodina », « Natcha Ramine », « Solidarité Covid19 Madagascar », « Solidev”, “Stop Covid 19 Madagascar”, “Urgence Covid19 Madagascar (Avenir Enfants Malgaches)”…
… Et bien d’autres encore qui ne seront pas recensées ici, masquées au sein d’initiatives individuelles, tout en alertant sur la nécessité de se prémunir de probables effets d’aubaine de certains appels aux solidarités.
La communauté malagasy semble difficile à mobiliser sur les grandes opérations solidaires, faisant la part belle à la multiplication d’actions associatives ou personnelles. A l’exception du CEN qui organise la RNS (Rencontres Nationales Sportives), événement significatif de la Diaspora de Madagascar qui rassemble traditionnellement à Pâques, lors d’un week-end festif, jusqu’à 7 000 membres de la société malagasy expatriée pour des rencontres inter-associations. Le contexte confinement, annulant la manifestation, les a vus transformer ces rencontres en une semaine d’événements virtuels sur Internet pour entretenir la cohésion sociale de la communauté malgré la crise.
Faire le constat de ces fragilités n’est pas sombrer dans le catastrophisme. Mais il faut bannir toute forme de pensée magique, de la part des gouvernants, de la part de leurs administrations, et de fait de la part de leurs administrés entretenus dans un sentiment de « on passera au travers » .
Les initiatives erratiques, telles qu’un confinement inapplicable et inappliqué calqué sur les pays du nord, le manque de visibilité et de transparence sur les besoins projetés et les moyens, les équipements, les infrastructures, les ressources et les traitements nécessaires pour contenir une possible crise sanitaire, ne peuvent pas nous rassurer et ne peuvent pas nous permettre de projeter les actions et initiatives qui seraient nécessaires.
S’il nous reste quelque espoir de passer au travers d’un drame sanitaire, il est par contre certain que nous n’éviterons pas de graves difficultés économiques et sociales. La pandémie est un fait. Mais le deuxième et véritable danger qui guette nos populations, même si le premier est évité, est un écroulement économique du pays avec son lot de chômage, son lot de perturbations, entre autres, de la circulation des intrants agricoles et importés, son lot de misère et de famine et de régressions sociales.
Nous avons plus que jamais besoin de transparence pour pouvoir lire la situation, anticiper, agir. Et, au-delà de la préservation de la cohésion sociale, nous avons plus que jamais besoin d’affirmer nos solidarités ICI et LA-BAS.
[i] Sources : Ministère de la santé publique (Plan National de Santé) - OMS – PNUD - Institut Pasteur
[ii] ibid
[iii] Sources : l’Express de Madagascar, Madagascar Tribune
Chronique rédigée par Patrick Rakotomalala, Fact'Madagascar, Fédération d'associations de la diaspora de Madagascar
Comité de rédaction : Chadia Arab, Benoit Mayaux, Jacques Ould Aoudia, Patrick Rakotomalala
Mise en forme et communication : Randa Chekroun, Pierangela Fontana
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